Les écrivains méconnus,
négligés et même oubliées
du 19ième siècle




On divise l'histoire littéraire du dix-neuvième siècle en mouvements et en écoles, qui se succèdent, se concurrencent et se chevauchent. Du Romantisme affrontant le Néo-Classicisme, aux parnassiens côtoyant les naturalistes, de Réalisme en Symbolisme, de l'école du bon sens à l'école romane, et ça trotte et ça bourdonne.

Mais ce qui me frappe toujours quand je lis ce que les écrivains eux-mêmes écrivent, dans leurs souvenirs, journeaux et mémoires, ou dans les critiques et les répertoires de l'époque, c'est de trouver là, de plein pied avec les gloires de la littérature, des écrivains dont on ne parle plus, sinon parfois comme d'un détail de la vie d'une vedette.

L'histoire littéraire nous a gardé des noms, ceux des petits romantiques, des petits symbolistes, des collaborateurs des Soirées de Médan, des signataires du Manifeste des Cinq... puis de toute une faune d'écrivains trop personnels pour qu'on puisse les mettre dans une école, d'écrivains précurseurs de genres devenus mineurs, et que l'on ne considère donc plus comme de "vrais" écrivains.

Parfois ces écrivains au nom connu, ont une oeuvre méconnue. Parfois on les a oubliés. En fin de compte on les néglige. Est-ce parce que leur oeuvre est moins bonne que celle de leurs illustres confrères, les Hugo, Balzac, Sand, Flaubert, Stendhal et autres Zola? Est-ce parce qu'elle est trop de son époque, pas assez universelle, qu'on l'écarte? Il faudrait voir au cas par cas, mais au fond peu importe.

Pour comprendre la littérature du dix-neuvième siècle, on n'a pas besoin d'eux, les pontes des grands mouvements suffisent sans doute. Mais pour connaître cette même littérature, il est nécessaire de se frotter aux délaissés, aux écoles vaincues, aux individus réfractaires aux écoles. En voici certains, que je considère comme des vedettes de l'oublie.

* * * * *

À l'époque romantique

Au temps de Hugo et de Musset, on croise ces petits romantiques, qui illustrent si bien les efforts malheureux de gens de talent. Sans être oubliés - on cite régulièrement leurs noms - essayez de trouver leurs oeuvres! Est-ce que Philotée O'Neddy, Pétrus Borel, Aloysius Bertrand et Charles Nodier ne valent pas mieux que de servir de figurants au drame romantique?

Il y a en parallèle une bohème dorée, comptant Théophile Gautier et Gérard de Nerval, ayant donc eut plus de succès à la loterie de la renommée littéraire, mais qui a abandonné en chemin les Arsène Houssaye, Charles Lassailly, Édouard Ourliac, Nestor Roqueplan, Auguste de Châtillon ... ces vétérans de la bataille d'Hernani.

Puis ce Romantisme n'était pas la seule réalité littéraire de son époque. Il avait d'abord ses détracteurs, comme les écrivains de l'école du bon sens - François Ponsard, Émile Augier et Joseph Autran - qui tentèrent de mettre un peu d'ordre dans les passions romantiques. Et que dire de ces pilliers qu'étaient à leur époque Léon Gozlan, Léo Lespès et Joseph Méry? Ils sont de la génération romantique, mais eurent le malheur de faire du journalisme, de la critique et du feuilleton... comme Balzac et Dumas.

Le Réalisme

C'est en s'extirpant du cadre romantique que Balzac, Flaubert, George Sand deviendront des romanciers réalistes. La génération qui suit compte, dans l'école réaliste, Henry Murger, Champfleury et Edmond Duranty. C'est comme un creux de vague entre les grands réalistes et le Naturalisme. Il est parfois mérité, je l'accepte, mais ces écrivains n'auront pas toujours moins de talent que ce qui suivra et survivra.

Mais comme on s'opposait au Romantisme, on s'opposera aux réalistes. L'école idéaliste, avec Jules Sandeau (madame Sand ne s'est pas faite toute seule), Victor Cherbuliez et Octave Feuillet, offrent une littérature moralement et socialement acceptable dans les salons les plus dignes, et George Ohnet continuera cette tendance face au Naturalisme de la génération suivante.

Après l'époque réaliste, la littérature va prendre deux directions : le Parnasse et le Naturalisme. Tous les jeunes écrivains ou à peu près se réclameront d'une des deux écoles - et mépriseront souvent souverainement l'autre.

À l'ombre du Parnasse

Du côté parnassien, lit-on encore l'oeuvre des grands du mouvement? Je veux dire pour le plaisir. Parfois oui, mais si peu, dans les anthologies poétiques, ces "plus beaux poèmes" de la littérature française, qui laissent les autres dans l'ombre.

Et puis aux côtés des maîtres, n'y avait-il pas quelques Léon Valade, Émile Blémont, Albert Mérat, Émile Bergerat, Armand Silvestre, Henri Cazalis, Albert Glatigny, Louis Ménard et Ernest d'Hervilly? Peut-être que je me trompe, mais il me semble bien qu'ils étaient parnassiens. À quel tournant de la vie littéraire les a-t'on perdus?

Les naturalistes

On le sait, le Naturalisme c'est Zola d'un côté et l'Académie Goncourt de l'autre. Une vingtaine d'écrivains, tant des Soirées de Médan - qui nous offrent Paul Alexis, Henri Céard et Léon Hennique - que du grenier des Goncourt ont partagé le poids du Naturalisme. Il y a les signataires du Manifeste des cinq, les auteurs du Théâtre-Libre d'Antoine, et quelques vedettes de second rayon, comme Octave Mirbeau et Jules Renard, sans compter les deux échappés du cirque naturaliste : Joris-Karl Huysmans et Guy de Maupassant.

Le Populisme

Le dix-neuvième siècle est celui de l'explosion de la révolution industrielle. La technologie, avec l'harnachement de la vapeur, le moteur à explosion, l'électricité changa la société en profondeur. La circulation des journeaux augmente dramatiquement et les idées circulent. En conséquence, c'est l'avènement du Marxisme, du Fouriérisme, du Saint-Simonisme, de l'Anarchisme. Se développent des mouvements ouvriers et syndicaux. La classe populaire gagne en pouvoir.

En littérature, le Romantisme s'était déjà préoccupé des pauvres, des faibles et des exploités. André Gill, Jean Richepin, Aristide Bruant, Jehan Rictus et Charles-Louis Philippe, endosseront symboliquement la blouse de l'ouvrier, écrivant pour certains en argot et présentant, le plus souvent à la bourgeoisie, ces gens du peuple qui firent leur réputation, parfois leur fortune. Et tout cela sans se compromettre avec les gens de Médan.

Un souffle du Midi

Qui est Alphonse Daudet? Mais l'auteur de charmants contes! ceux du lundi, ceux de son moulin et encore quelques tartarinades méridionales. Qu'a-t'on fait du poète? Où est passé l'écrivain naturaliste de Sapho? Si Daudet est loin d'être oublié, son oeuvre est amputée.

Et puis si les félibres, Frédéric Mistral et Théodore Aubanel en tête, sont aux marges de la littérature française, ne l'étant que par nationalité, car d'une toute autre langue, n'y a-t'il pas venus du Midi, entre Daudet et Pagnol, quelques noms méconnus? Je pense - vous l'aurez deviné - à Paul Arène et à Jean Aicard.

Au beau temps du Symbole

Ça c'est une époque intéressante. Elle a ses racines dans le Parnasse, grâce à Baudelaire et Verlaine. Elle englobe des verlainiens, des décadents, l'École romane, et s'attache la moitié des écrivains belges de l'époque, avant de plonger dans le "fin de siècle". On pourrait compter ici une trentaine de poètes.

Pourtant, dans ses précurseurs, pré-symbolistes commme Charles Cros, Germain Nouveau et les poètes maudits de Verlaine, les Lautréamont, Tristan Corbières, Marceline Desbordes-Valmore et Villiers de L'Isle-Adam, mis à part Rimbaud et Mallarmé, on nage dans les illustres inconnus, connus de nom, mais peu lus encore.

Ensuite ses membres plus ancrés dans le mouvement, Jules Laforgues, Albert Samain, René Ghil, Gustave Kahn, Jean Moréas, et j'en passe, ne sont pas tellement plus connus que leurs prédécesseurs. Encore une fois, leurs noms reviennent tout le temps, ce sont leurs oeuvres qui n'ont plus d'importance, sauf pour quelques admirateurs fervents. Peut-être au fond n'ont-ils jamais rien désiré d'autre.

En parallèle

À la même époque que le Symbolisme, il y aura plein d'écrivains, romanciers et poètes, qui jouiront d'une grande popularité, plus attachés aux formes du passé peut-être, mais ancrés aussi dans la vie moderne. On les affilierait volontier aux réalistes, mais aussi aux parnassiens. Certains furent des pilliers des Hydropathes et du Chat-Noir, d'autres finiront à l'Académie française, mais tous furent de leur époque, avec succès et notoriété.

Ils comptent Jean Richepin, que nous avons déjà vu, Edmond Haraucourt, Maurice Rollinat, Émile Goudeau, Raoul Ponchon, Maurice Bouchor, Félicien Champsaur et Léo Trézenik. À eux seuls ils pourraient représenter les écrivains qui de leur vivant ont connu le succès, mais qui ont ensuite disparu, des tablettes de librairies et même des seconds rayons de l'histoire littéraire.

Que dire d'Alphonse Allais, Aurélien Scholl, Jules Jouy, Maurice Mac-Nab, Maurice Donnay, Fernand Icres, Georges Lorin, Félix Décori, Léon Xanrof, Franc-Nohain, Charles Leroy, Louis Marsolleau, Armand Masson, Achille Mélandri, de tous ces humoristes, fumistes, chroniqueurs, chansonniers, poètes légers, qui furent leurs confrères et amis? Ils ne sont plus lus aujourd'hui, ou à peu près.

Les grands indépendants

Où classer Jules Barbey d'Aurevilly, René Boylesve, Marcel Schwob, Remy de Gourmont et Pierre Loti? Ils touchent parfois au Symbolisme; ils peuvent rejoindre le Réalisme ou le roman psychologique; certains sont influencés par l'esprit du siècle précédent. Ils ont des valeurs esthétiques très personnelles, mais ont parfois fréquenté tout le monde littéraire de leur époque. Difficiles à classer, ils disparaissent trop souvent derrière les grands noms, courtisés seulement par des initiés, ou pour quelques oeuvres clés.

Le théâtre

S'il a commencé le siècle au coeur des luttes romantiques, rapidement il se limitera au mélodrame, à la comédie de boulevard et à l'opérette. Il y a de grands noms qui ne sont plus jamais joués. Pour une de Racine ou de Corneilles, combien y a-t'il de pièces d'Eugène Scribe, d'Émile Augier ou d'Adolphe Dennery qui soient montées? La comédie est plus en faveur : Feydeau, Labiche et Courteline sont encore vus. Mais on ne parle plus guère de Victorien Sardou, Henri Becque ou Ludovic Halévy.

Il est un peu cynique de constater que le Théâtre de l'Oeuvre, d'inspiration symboliste, n'a finalement surtout servi qu'à imposer les russes et les scandinaves, et que le Théâtre-Libre d'Antoine, a consacré l'échec du Naturalisme au théâtre.

Genres mineurs dites-vous...

Quand un écrivain s'intéresse au feuilleton, au fantastique, à la science-fiction, au roman policier, à l'humour, à la chanson, il courtise sa damnation littéraire. Ce n'est plus "que" Paul Féval, Eugène Sue ou Frédéric Soulié. On pense à Gustave Lerouge, Gaston Leblanc ou Gaston Leroux, les trois couleurs des écrivains mineurs. On oublie les feuilletons de Balzac ou de Sand.

Gautier, Flaubert, Balzac encore donnèrent dans l'exotisme, l'aventure et le fantastique sans trop en souffrir. Jules Verne, moins heureux, n'aura écrit que pour les enfants. Les réputations littéraires de Albert Robida, coupable du double crime d'anticipation et d'humour, et de Villiers de l'Isle-Adam, qui fit du fantastique et dont tout le reste de l'oeuvre est négligé, ont bien souffert de leurs intérêts. Charles Barbara et Émile Gaboriau préfigurant le roman policier, ne s'en remettront jamais.

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Ces écrivains, dans les meilleurs cas, attendent au purgatoire leur redécouverte. La plupart cependant arpentent les limbes littéraires. Il est probable que leur oubli relatif est justifié, car les temps changent. Mais finalement ce qui ressort de tout ceci est que peu de gens écrivent pour la postérité. Pour un incontournable grand maître de la littérature, que l'on vénère trop souvent même sans l'avoir lu, il y a des dizaines d'écrivains dont les oeuvres n'ont pas survécues à leur époque, et ce même si on retient encore religieusement leur nom dans les histoires littéraires.

En conclusion, lisez donc ce que vous aimez, et si on vous dit que c'est futile, dites que c'est un pseudonyme de Flaubert. Dans quarante ans ça sera peut-être un classique. Et ne pariez pas trop sur la valeur future de nos grands écrivains d'aujourd'hui. L'histoire nous démontre que le respect et même l'enthousiasme des contemporains ne sont pas une garantie de consécration.





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