Nous sommes parnassiens




Nommé d'après le mont Parnasse, situé en Grèce près de Delphes, montagne où sous la conduite d'Apollon s'assemblaient les neuf Muses, le Parnasse contemporain est à la fois un mouvement littéraire et trois recueils de poésie qui lui sont rattachés. Le premier de ces trois recueils fut publié à l'instigation de Catulle Mendès et Louis-Xavier de Ricard en 1866 et parmi les trente-sept auteurs que comptait le recueil, on remarquera la collaboration de Théophile Gautier, Théodore de Banville, Leconte de Lisle, Catulle Mendès, Charles Baudelaire, Sully Prudhomme et Stéphane Mallarmé.

Ce mouvement héritier du Romantisme s'oppose cependant à lui, et plus particulièrement à l'expression des sentiments personnels, qu'il jugeait trop complaisante. Ces poètes s'opposaient aussi à la littérature de consommation et à l'engagement politique, défendant un "art pour l'art" que caractérisaient le culte du travail, la religion du Beau et le refus du lyrisme. Ainsi la forme prime désormais sur l'inspiration, et la minutie de la description, souvent exotique ou mythologique et allant parfois jusqu'à des préoccupations scientifiques, comme chez Sully Prudhomme, doit mener à une plus grande objectivité. Pour ces poètes, et comme l'écrit Leconte de Lisle, considéré comme le chef de ce mouvement :

L'art, dont la Poésie est l'expression éclatante, intense et complète, est un luxe intellectuel, accessible à de très rares esprits.

Les racines de cette nouvelle esthétique se trouvent dans la préface de Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier (1835), dans laquelle l'auteur affirmait :

Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien; tout ce qui est utile est laid, car c'est l'expression de quelque besoin; et ceux de l'homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature...

Les trois anthologies poétiques du Parnasse contemporain, publiées chez l'éditeur Alphonse Lemerre en 1866, 1871 et 1876, permettront la publication d'une centaine de poètes. Outre ceux déjà mentionnés, on trouvera, entre autres, Paul Verlaine, Charles Cros, Anatole France, François Coppée, José Maria de Heredia, Louis Xavier de Ricard, Léon Dierx, Louis Ménard, Albert Glatigny, Henri Cazalis, Albert Mérat et Léon Valade, toute cette génération de 1860, appelée justement "parnassienne".

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Si le terme parnassien a aujourd'hui mauvaise presse, ayant une connotation d'académisme et d'histoire littéraire poussiéreuse, à l'époque de sa force, le mouvement était constitué de jeunes gens innovateurs, frondeurs et talentueux. Ancré dans le Romantisme, grâce à la paternité de Théophile Gautier, lancé par des revues comme la République des Lettres et la Revue fantaisiste de Catulle Mendès, et courronné par le Traité de poésie française de Théodore de Banville, publié en 1872, l'esthétique parnassienne, comme tant d'autres, est née dans les salons, ceux de Théophile Gautier, Théodore de Banville et Leconte de Lisle notamment, mais peut-être aussi surtout celui de Nina de Villard.

Plus informel et amical que les précédents - des oeufs attendaient toujours les amis qui n'avaient pas eu le ... temps... de dîner - il avait comme pilliers Charles Cros, Villiers de l’Isle-Adam et Catulle Mendès, qui plus tard dans La Maison de la vieille, reniera son amitié pour Nina et sera très dur à son égard. Mais ce salon recevait non seulement des écrivains, comme François Coppée, Stéphane Mallarmé, José Maria de Heredia, Émile Zola et Alphonse Daudet, mais aussi des peintres, des compositeurs et des hommes politiques (qui s'illustreront notamment dans la Commune), comme Édouard Manet qui a peint le portrait de Nina, Edgar Degas, Hector Berlioz et Léon Gambetta, toute une jeune intelligensia à l'avenir prometteur. Incidemment Nina recevra aussi par la suite la jeune génération, celle du Chat-Noir, mais c'est une autre histoire.

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Le premier Parnasse contemporain fut accueilli par certains avec un humour cinglant. Ainsi Paul Arène, Alphonse Daudet, Gustave Mathieu, Alfred Delvau et Jehan du Boys publièrent Le Parnassiculet contemporain, où ils ridiculisent allègrement les valeurs nouvelles auxquelles aspirent les parnassiens. Le Parnassiculet aura trois éditions (1866, 1872 et 1876), faisant mirroir aux trois recueils du Parnasse contemporain.

Après la Commune, autour des années 1871-72, les parnassiens seront encore parodiés dans l'album zutique, auquel ont collaboré, entre autres, Verlaine et Rimbaud. De leur côté et à la même époque, trouvant sans doute que les parnassiens manquent de vie, et voulant s'opposer à eux, Maurice Bouchor, Jean Richepin et Raoul Ponchon fondent les Vivants.

Mais bientôt des dissensions profondes apparurent entre les parnassiens mêmes. Certains, comme Baudelaire, Mallarmé ou Verlaine iront faire leur gloire ailleurs et sur d'autres bases, idées nouvelles qui donneront naissance au Symbolisme. Les maîtres parnassiens, Leconte de Lisle, Sully Prudhomme, Heredia, feront bientôt figure de poètes académiques. Lors de la publication du troisième et dernier recueil du Parnasse, plusieurs poètes qui ne seront pas, avec raison, jugés conformes à l'esthétique parnassienne seront refusés.

Certains d'entre eux, Charles Cros, Maurice Rollinat, Germain Nouveau, Nina de Villard, publiront en 1876, avec quelques contributions de Antoine Cros, Jean Richepin, Auguste de Châtillon, Hector L'Estraz et Charles Frémine, les Dixains réalistes où ils se moquent franchement de leurs confrères : c'est la rupture. Suite à cela, Anatole France, demeuré fidèle au Parnasse, se fâchera avec Charles Cros et n'oubliera sa rancoeur que pour assister aux obsèques du poète. Mais l'avenir appartenait aux symbolistes et si l'esthétique parnassienne survécut chez certains, en tant que mouvement c'était déjà chose du passé.

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Étonnante épopée que celle du Parnasse. À sa naissance, ce mouvement regroupera les forces de la majorité des jeunes gens de son époque. Puis, ayant vu partir ceux qui, ne renonçant pas à l'innovation, allaient fonder le Symbolisme, en quelques dix ans, devenu école, il sombrera dans l'académisme. On peut en retracer l'histoire grâce à Catulle Mendès, décidément incontournable en matière de Parnasse, qui écrivit La Légende du Parnasse contemporain, publiée en 1884.

Aujourd'hui, ces esthètes, ces hommes mûrs ancrés dans les idéaux dépassés de leur jeunesse, ne sont plus que matière d'histoire littéraire et d'anthologies poétiques. On les lit bien encore, mais surtout sous la gouverne d'un professeur. Et ce sont Baudelaire et Verlaine, anciens parnassiens, qui portent les lauriers de la gloire poétique. La génération suivante, celle de la Décadence et du Symbole sera à leur image, non pas à celle de Leconte de Lisle.





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