Le Parnasse contemporain

Troisième recueil



Du troisième recueil je tire trois poètes moins connus, mais qui ont fait leur marque dans la littérature du dix-neuvième siècle. Commençons par Ernest D'Hervilly, qui écrit là quelque chose qui me semble contenir, de par ses allusions, plus qu'un hymne à la bière.

Mars

Un souvenir d'enfance, assoupi dans mon coeur,
Que le retour de Mars joyeusement réveille,
C'est celui d'une Enseigne où trône une bouteille
Qu'emplit, ô Cambrinus, ta fougueuse liqueur :

Caressant d'un colback haut le plumet vainqueur
(Cependant que déjà butine aux champs l'abeille),
Deux houzards moustachus, attablés sous la treille,
Sont là, prêts à goûter la bière fraîche en choeur.

Soudain le bouchon - pan! - s'élance vers les nues,
Et la bière en deux jets mousseux s'échappe, mais
Pour obéir, docile, à des lois inconnues;

Car, - chose que ne vit la physique jamais,
Au grand contentement des braves militaires,
Le liquide obligeant retombe au sein des verres!

Ernest D'Hervilly


Passons ensuite à Albert Mérat. Ne s'épancherait-il pas plus qu'il est de bon ton dans l'école parnassienne?

Les Fleurs de pommiers

Les champs sont comme des damiers
Teintés partout du blé qui lève.
Avril a mis sur les pommiers
Sa broderie exquise et brève.

Avant que les soleils brutaux
Aient fait jaunir l'herbe et la branche,
C'est la gloire de nos coteaux
D'avoir cette couronne blanche.

Malgré les feuillages légers,
Les jardins sont tout nus encore,
Mais les fleurs couvrent les vergers
Qui rayonnent comme une aurore.

La campagne gaie est vraiment
Belle et divinement coiffée;
Les pommiers ont un air charmant
Avec leur tête ébouriffée.

Une étoile blanche est leut fleur
Qu'Avril peut brûler d'une haleine.
Le Chinois en peint la pâleur
Sur les tasses de porcelaine.

Elle n'a pas d'odeur; elle est
Délicate, charnue et grasse;
Blanche et mate comme le lait,
Aussi légère que la grâce.

Elle semble s'enorgueillir
Du fragile trésor du germe.
Il faut la voir sans la cueillir
À cause du fruit qu'elle enferme.

Cependant sur le front aimé
Qui s'éclaire de l'embellie,
Pas une seule fleur de mai
N'est, à vrai dire, aussi jolie.

J'ai là, tout au fond de mon coeur
Un souvenir de matinée :
Des fleurs prises d'un doigt moqueur...
Mais je ne sais plus quelle année!

Albert Mérat


Lisons enfin un poème de Léon Valade, qui d'un sonnet couronne notre tryptique printanier.

Mai

Avril, à l'incarnat frêle et poudré de givre,
Nous tient encor troublés de son charme incertain;
Lorsque Mai, couronné de roses, un matin,
Sort des brumes, tenant la coupe où tout s'enivre.

La belle au bois dormant qu'il réveille et délivre,
L'Idylle, vers les monts bleuissant au lointain,
Court avec lui parmi la rosée et le thym,
Mêlant le bien d'aimer à l'extase de vivre.

Même dans la langueur de nos rites chrétiens,
Mois cher à la gaîté païenne! tu retiens
Ton parfum sans égal, ta grâce sans pareille :

Et ton nom seul séduit, où semble résumé
D'un son bref, aussi doux aux lèvres qu'à l'oreille,
Tout ce qu'a le printemps de douceur brève, ô Mai!

Léon Valade


Le Parnasse contemporain
1876



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