Le Parnasse contemporain

Second recueil



Pour illustrer ce second recueil, je choisi de présenter les oeuvres des deux poètes à l'origine de la publication. D'abord lisons un extrait de Légendes et Contes de Catulle Mendès.

Le Disciple

Le Bouddha rêve, ayant dans ses mains ses orteils.

Pourna dit : « Les esprits affranchis sont pareil
Au libre vent du nord dans le ciel sans nuage!
Grimpant les rocs, passant les fleuves à la nage,
Aux peuples très-lointains des bords très-reculés,
Pour qu'ils soient délivrés & qu'ils soient consolés,
Maître, j'apporterai ton dogme secourable.

- Si ces peuples, répond le Bouddha vénérable,
T'outragent, ô disciple aimé, que diras-tu?

- Ces peuples sont doués, dirai-je, de vertu,
Car ils n'ont point jeté de sable à mes paupières,
Et, doux, ne m'ont frappé ni des mains ni de pierres.

- Mais s'ils t'osent frapper de pierres ou des mains?

- Ces peuples sont très-bons, dirai-je, & très-humains,
Car leurs mains à lancer des pierres occupées
N'ont point levé sur moi de bâtons ni d'épées.

- Mais si leur fer t'atteint?

- Je dirai : Qu'ils sont doux
De frapper sans me faire expirer sous les coups!

- Mais si tu meurs?

- Heureux ceux qui cessent de vivre!

C'est bien, dit le Bouddha. Va, console & délivre. »

Catulle Mendès


Ensuite voici Louis-Xavier de Ricard, qui nous parle de rien de moins que...

Dieu

C'est une heure d'angoisse indicible, que l'heure
Où, las de nos désirs sans cesse démentis,
Nous voulons, maudissant la vie extérieure,
Rentrer dans l'idéal d'où nous étions sortis.

Car, désaccoutumés par notre ingratitude
Des charmes de l'idée & de l'amour des dieux,
Nous ne retrouvons plus la sévère habitude
Des graves sentiments & des pensers pieux.

Ainsi qu'en un désert nous errons en nous-mêmes,
Et, fouillant du regard les horizons lointains,
Nous nous épouvantons de voir que nos blasphèmes
Se sont réalisés dans nos mauvais destins.

Tandis qu'autour de nous l'horreur de la tempête
Redouble les combats du tonnerre & du vent,
Nous marchons, ayant peur de retourner la tête
Vers le geste de Dieu qui nous pousse en avant.

La caravane, après un lent désert torride,
Trouvera l'oasis, pleine de chants d'oiseaux,
Où le svelte palmier baigne d'une ombre aride
Le parfum du lotus qui fleurit sur les eaux.

Ainsi nous parviendrons, après un long voyage,
Au paradis lointain promis à nos aïeux;
Nous réaliserons l'espérance des sages
Et nous accomplirons la parole des dieux.

Les horizons profonds, que nul regard ne sonde,
Derrière le brouillard ténébreux et vermeil,
Gardent à nos désirs la jeunesse d'un monde
Où nous rajeunirons sous un plus beau soleil.

Là, dans l'effusion des clartés éternelles,
Nous nous reposerons avec sérénité
Et les siècles, présents au fond de nos prunelles,
Seront la vision de l'immortalité.

Voici les temps venus, que l'histoire révèle.
Nul mystère étoilé n'obscurcit le ciel bleu,
Et l'homme, créateur de l'époque nouvelle,
Sent s'apaiser en lui les angoisses de Dieu!

Louis-Xavier de Ricard


Le Parnasse contemporain
1871



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