Le Parnasse contemporain

Premier recueil



Je donne ici trois exemples de poésie parnassienne, puisés parmis les pontes du mouvement. Le premier est de Théophile Gautier, l'inspirateur du mouvement.

La Marguerite

Les poëtes chinois, épris des anciens rites,
Ainsi que Li-Tai-Pé quand il faisait de vers,
Placent sur leur pupitre un pot de marguerites
Dans leurs disques montrant l'or de leurs coeurs ouverts.

La vue et le parfum de ces fleurs favorites,
Mieux que les pêchers blancs et que les saules verts,
Inspirent aux lettrés, dans les formes prescrites,
Sur un même sujet des chants toujours divers.

Une autre Marguerite, une fleur féminine
Que dans le Céladon voudrait planter la Chine,
Sourit à notre table aux regards éblouis.

Et pour la Marguerite, un mandarin morose,
Vieux rimeur abruti par l'abus de la prose,
Trouve encore un bouquet de vers épanouis.

Théophile Gautier


Le second est de José Maria de Heredia, que j'ai préféré à Théodore de Banville, car ce dernier n'a qu'un seul très long poème.

Fleurs de feu

Bien des siècles, depuis les siècles du Chaos,
La flamme par torrents coula de ce cratère,
Et ce pic ébranlé d'un éternel tonnerre
A flamboyé plus haut que les Chimborazos.

Tout s'est éteint. La nuit n'a plus rien qui l'éclaire.
Aucun grondement sourd n'éveille les échos.
Le sol est immobile, et le sang de la Terre,
La lave, en se figeant, lui laissa le repos.

Pourtant, dernier effort de l'antique incendie,
On voit, dans cette lave à peine refroidie,
Éclatant à travers les rocs pulvérisés,

Au milieu du feuillage aigu comme une lance,
Sur la tige de fer qui d'un seul jet s'élance,
S'épanouir la fleur des cactus embrasés.

José Maria de Heredia


Notre troisième exemple nous est offert par nul autre que le chef de l'école même, Leconte de Lisle, qui a dû aller se promener au jardin zoologique pour nous dépeindre...

Le Rêve du jaguar

Sous les noirs acajous les lianes en fleur,
Dans l'air lourd, immobile et saturé de mouches,
Pendent, et s'enroulant en bas parmi les souches,
Bercent le perroquet splendide et querelleur,
L'araignée au dos jaune et les singes farouches.
C'est là que le tueur de boeufs et de chevaux,
Le long des vieux troncs morts à l'écorce moussue,
Sinistre et fatigué, revient à pas égaux.
Il va, frottant ses reins musculeux qu'il bossue;
Et, du mufle béant par la soif alourdi,
Un souffle rauque et bref, d'une brusque secousse,
Trouble les grands lézards chauds des feux de midi,
Dont la fuite étincelle à travers l'herbe rousse.
En un creux du bois sombre interdit au soleil,
Il s'affaisse, allongé sur quelque roche plate;
D'un large coup de langue il se lustre la patte,
Il cligne ses yeux d'or hébètés de sommeil;
Et, dans l'illusion de ses forces inertes,
Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs,
Il rêve qu'au milieu de plantations vertes,
Il enfonce d'un bond ses ongles ruisselants
Dans la chair des taureaux effarés et beuglants.

Leconte de Lisle


Le Parnasse contemporain
1866



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