La Légende du Parnasse contemporain



Dans cette suite de quatre conférences que donna Catulle Mendès, il raconte les débuts du Parnasse et en présente les membres principaux, avec de nombreux extraits de leurs oeuvres. Je vous donne ce qu'il dit de la Revue fantaisiste qu'il fonda alors qu'il était encore tout jeune.

La Revue fantaisiste était la Revue bien nommée. Toutes les ardentes et folles audaces, elle les avait; narguant les pédantismes et les sottises, pouffant de rire au nez des conventions, ne comprenant ici-bas que deux choses, qui sont tout, à la vérité, la Poésie et la Joie! Pour moi, malgré tous ses défauts, que je sais mieux qu'aucun autre, je ne puis jamais songer à elle sans un doux tremblement au coeur et sans un sourire de tendresse, comme un homme qui, au milieu des angoisses et même du bonheur, se souvient de sa première amourette.

J'y pense aussi avec fierté.

Car elle eut, cette folle, le courage magnanime et qui parut étrange de faire l'émeute des vers, des véritables vers, contre ce roi le Sentimentalisme élégiaque, et cette reine, la Faute-de-français; car, adoratrice effrénée du génie et de la passion, elle célébra de toutes ses chansons de jeune oiseau le Maître suprême, alors exilé, et eut ses soirs d'Hernani pendant les représentations des Funérailles de l'honneur d'Auguste Vacquerie; car elle eut la gloire d'être approuvée et patronnée par ces hauts et purs esprits, Théophile Gautier, Charles Baudelaire, Théodore de Banville, et l'honneur de rechercher ou d'accomplir, de révéler à ce petit nombre qui est bientôt le grand nombre, la plupart des jeunes talents que la France admire aujourd'hui. Pour ne point parler des poètes, — elle eut tous les poètes, — c'est sous la couverture satinée et couleur d'or de la petite Revue, qu'Alphonse Daudet, peu illustre en ce temps-là malgré son livre des Amoureuses, publia quelques-unes de ses exquises fantaisies, que Jules Claretie glissa presque hésitant ses toutes premières lignes, — une petite idylle intitulée : les Amours d'une Cétoine, — et que Léon Cladel, farouche improvisateur, mais quel artiste à présent! enferma, ainsi qu'on met les tigres en cage, ses plus formidables nouvelles qui mordaient et déchiraient les feuillets.

Plus loin, après être passé par Richard Wagner, Villiers de l'Isle-Adam, Léon Cladel, Charles Baudelaire, Sully-Prudhomme, il ajoute :

Vous le voyez, presque tous les poètes d'alors vinrent à la Revue fantaisiste. Chose un peu plus étrange, elle comptait parmi ses collaborateurs la plupart des journalistes célèbres du temps, Jules Noriac, Charles Bataille, Charles Monselet, et Aurélien Scholl, poètes aussi! Leur présence parmi nous était sans doute un présage de la réconciliation future entre l'article de journal et la poésie, entre les chroniqueurs et les Parnassiens. Mais, fait plus extraordinaire encore, nous avions comme collaborateur assidu, très assidu, M. Champfleury. Oui, M.Champfleury lui-même, le chef des Réalistes d'antan, l'ennemi des rimes et des rythmes, celui qui tenait alors sur les poètes les discours précisément que tient aujourd'hui M. Emile Zola. Ah! c'est que, vraiment, on s'est fort abusé en croyant ou en disant que les Parnassiens étaient des esprits jaloux, opposés à toute manifestation de l'art non conforme à ce qu'on croyait être leur théorie.

Etc.

La Légende du Parnasse contemporain
1884



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