Le poète chinois et mandarin de première classe Si-Tien-li, visite à Paris, par une soirée pluvieuse d'hiver, les parnassiens en leur cénacle de l'hôtel du Dragon-Bleu. ... « Ces poëtes de France sont bien mal logés! dit le mandarin en s'arrêtant. On imaginerait, à lire leurs vers, qu'il passent la vie dans des palais de porcelaine, pleins de fleurs, de femmes et d'oiseaux rares, parmi de vastes jardins d'été, où l'eau chante éternellement au fond des vasques de marbre... » Mais Si-Tien-Li a beau arrondir ses petits yeux, il ne voit ni tapis, ni cristaux riant aux lumières, ni dames en robes lamées d'étoiles et de diamants; il ne voit ni or, ni rubis, ni pourpre; rien que le trou noir de l'allée avec le grand dragon de tôle peinte en bleu qui se tord au dessus. Tout au fond, à l'entrée d'un escalier étroit, tremble la flamme grèle d'un bec de gaz, et sur les pavés d'une cour intérieur on entend l'eau des gouttières tomber à grand bruit. Cependant il ne faut pas se fier aux apparences, et la coque goudronnée des bateaux de fleurs cache plus d'un voluptueux secret... ... Tous les Parnassiens sont là, assis par terre, le long des murs et mâchant du haschich... Ils regardent sans rien dire une jeune fille en costume de statue qui fait des poses plastiques, au milieu de la chambre, sur un tapis de pourpre fanée. A chaque nouvelle pose, un petit homme noir qui se démène au piano plaque un accord majestueux, pendant qu'un bel adolescent à longs cheveux dorés et bouclés, vêtu de velour sombre, indique à la jeune fille les poses diverses qu'il faut prendre. ... — Il faut avoir un critérium, mandarin! Barrer son coeur aux passions humaines, et demeurer, ainsi qu'il convient, le spectateur farouche et froid du drame de la vie; écrire en un style somptueux et compliqué auquel ne puisse rien entendre le Vulgaire, et s'inspirer toujours des temps et des régions énigmatiques sur lesquels flottent comme un voile divin l'Idéal et l'Ombre : voilà le vrai critérium, le seul, le nôtre, celui de l'hôtel du Dragon-Bleu! Car c'est nous qui sommes les Impassibles!! Etc. Le Parnassiculet contemporain |
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