Le dix-neuvième siècle va de 1801 à 1900, mais du point de vue artistique et littéraire, jusqu'à la chute de Napoléon, les choses sont très orientées vers le siècle précédent. Il y a bien un Romantisme en France, mais il est dit "aristocratique", politiquement il s'oppose à l'Empire et ses influences sont allemandes et anglaises. On y retrouve Mme de Staël, Benjamin Constant, Vigny, Chateaubriand et Lamartine. Ce n'est cependant qu'après 1815 que le Romantisme victorieux prend son essor. Si Charles Nodier en est le promoteur, Victor Hugo en est le fer de lance. Musset et Mérimée sont de grands romantiques et on classe Mais ce Romantisme est celui de la démesure. D'un côté les poncifs de l'épanchement de l'âme, de l'autre le mélodrame et le roman feuilleton le guettent, et plusieurs ne seront pas en accord avec la direction prise par la littérature, mais en vain. C'est finalement la réalité économique qui, par soucis d'efficacité, tuera le Romantisme. Au théâtre, le spectateur fait loi, et bientôt les drames romantiques ne feront plus recette. On leur préférera le drame bourgeois et la comédie de boulevard. En matière de roman, c'est la Presse, force montante et importante source de revenus des romanciers de cette époque, qui dicte ses exigences. Peut-on imaginer un Dupont ou un Durand en train de goûter les élans romantiques entre une annonce de La Samaritaine et une autre de Félix Potin, entre le meurtre commis la veille et la rubrique des chats qu'on écorche? Le Réalisme est né des goûts des lecteurs. Il est intéressant de constater que si de grands romanciers comme Balzac se sont épanouis dans ce système commercial, créant une oeuvre exceptionnelle, ils n'en étaient pas moins feuilletonistes, comme En matière de poésie, sous l'influence de Gautier, naîtra le Parnasse, attaché à la forme parfaite, répudiant l'épanchement émotif du poète et la littérature commerciale. Toute une génération parnassienne portera haut l'idéal de "l'art pour l'art", mais finalement c'est dans le cadre parnassien que naîtra le Symbolisme, derrière Baudelaire, puis Verlaine. Et dès lors existeront de concert une poésie innovatrice et une autre conservatrice, comme en art se côtoieront l'Impressionnisme et l'Académisme.
* * * * * Quel rapport avec génération de 1880? Pourquoi ce long préambule? C'est que cette génération héritera de tout ça. On y retrouve bien sûr des naturalistes, mais aussi des poètes que les parnassiens n'auraient pas désavoués, ainsi que des romanciers et des poètes "modernistes" que le Réalisme reconnaîtrait pour siens. On trouve tout ça et encore plus. C'est à cette époque que l'humour apparaît. Dans la foulée humoristique s'épanouiront le monologue et les premières bandes-dessinées. Aussi le roman devient psychologique, précurseur de cette littérature du "je" si chère aux écrivains du vingtième siècle. Ce qui caractérise cette génération de 1880, ce n'est certainement pas son homogénéité! Ses membres sont nés dans les années 1850 ou au début de la décennie suivante. Certains commencèrent à publier dans la seconde moitié des années soixante-dix, mais la majorité d'entre eux débuteront leur carrière dans les années quatre-vingt. De plus cette génération n'est pas coupée de la précédente, celle de 1860, dont les membres, nés dans les années quarante, fraternisaient avec leurs jeunes confrères dans les nombreuses soirées artistiques et littéraires et les nombreuses revues de cette époque. Le Naturalisme Quand les grands naturalistes, les Goncourt, Émile Zola et Alphonse Daudet, auront établi la chose, pendant les quelques quarante ans qui suivront, toute une faune de jeunes écrivains les réclameront comme modèles. Si les plus célèbres, Maupassant et Huysmans, font encore la joie des éditeurs ré-éditeurs, la plupart des familiers des soirées de Médan et du Grenier des Goncourt sont aujourd'hui passablement absents, sinon des histoires littéraires, du moins des tablettes de librairies. Parmi les plus connus, on compte Mais je dois dire que plusieurs de ces écrivains, étant nés avant 1850, sont à peine admissibles dans la génération dont nous nous préoccupons ici. Un autre groupe de jeunes écrivains, ceux dits de la troisième génération naturaliste, nés dans les années qui nous intéressent, comme Héritiers du Parnasse Si le Parnasse mourut rapidement et laissa la place au Symbolisme, il se trouva pendant longtemps plein de poètes pour enrichir leurs rimes et s'ébattre, qui dans les ramages printaniers, qui dans les plaisirs amoureux. Si à cette époque personne d'autre que les parnassiens vieillissants ne défendait plus le Parnasse, son influence se faisait quand même sentir, comme celle du Romantisme d'ailleurs, chez la plupart des poètes qui ne seront pas symbolistes. Je pense par exemple ici à De quelle modernité s'agit-il? Le terme "moderne" a été utilisé pour décrire les romans de Zola et de son école. Mais ici c'est à l'école moderne que je m'intéresse. Elle est un peu informelle. C'est en fait plus un courant de pensée qu'une véritable école. Cette pensée est caractérisée par un intérêt pour la vie "moderne", c'est-à-dire la ville, Paris en particulier, ses gens, ses lieux, ses valeurs. Plus de bucoliques prairies verdoyantes; le bois de Boulogne est bien plus intéressant! Plus de bergère dans sa chaumière; une cocotte sur le boulevard a tellement plus de charme... Cette tendance, qui n'est effectivement pas contraire à plusieurs oeuvres naturalistes — Alphone Daudet par exemple l'exploitera dans Sapho — est une des originalités du siècle et préfigure d'une certaine façon les futuristes italiens, pour lesquels les lignes d'une belle automobile valaient celles de n'importe quelle statue. L'idée derrière cette "modernité" est en fait réaliste. Balzac, Flaubert, Stendhal et les membres de l'école réaliste, ne décrivaient rien d'autre que ce qu'ils observaient. De même Courbet peignait ce qu'il voyait et demandait à ce qu'on lui montre une déesse si on voulait la lui voir peindre. Dans cette optique, les romanciers comme Émile Goudeau, De la grandeur du monde aux profondeurs du "moi" Le Romantisme avait inspiré l'Orientalisme, une passion pour le Proche-Orient qu'avait fait connaître les expéditions de Napoléon en Égypte et la colonisation française de l'Afrique du nord. Vers la fin du siècle, c'est l'âge d'or du colonialisme. Avec le train et le paquebot, les voyages sont devenus plus faciles. Le commerce fleurit et les expositions universelles offrent une vitrine sur les merveilles étranges de contrées exotiques. C'est la passion japonisante. Ce sont les romans de En parallèle, héritier de Déjà à l'époque romantique, des gens comme Lamennais et Lacordaire avaient traité des questions catholiques à la lueur du siècle nouveau. Vinrent ensuite Vous avez dit humour... De tout temps il y eut une littérature drôle, aujourd'hui on dirait humoristique: comique troupier, farce salace, jeux de mots, ironie, satire cinglante et autres caricatures, mais au sens propre rien de tout cela n'est de l'humour. Tel que je l'entends ici, c'est la façon britannique de rire des sous-entendus et de se délecter des ambiguïtés, que la France découvrit dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Il y avait à cette époque une anglophilie galopante que partageaient Alphonse Allais, C'est l'époque du fumisme, de cet humour parfois noir, parfois absurde, qui se moque sans rire, qui étonne, qui joue sur les mots, triturant les conventions et qui préfigure ce qui au siècle suivant ne sera pas fait toujours dans un esprit d'amusement. On en est aux Incohérents, pas encore à Dada. On prépare le terrain aux surréalistes, qui dans ce domaine n'ont pas inventé grand chose, sinon de se prendre au sérieux en le faisant. Alphonse Allais, le maître fumiste, s'en reconnaît un dans l'illustre Sapeck. Déjà Charles Cros avait fait le monologue et Nadar quelques-unes des premières bandes-dessinées. Elles inspireront les dessins narratifs de Steilen et Willette. Robida, à la suite de Jules Verne, se lance dans quelques-uns des premiers romans de science-fiction, mais le ton de ses oeuvres est plus satirique et humoristique qu'autre chose. La chanson de chansonnier La chanson, en faveur depuis les romantiques avec Gouffé, Béranger, Desaugiers et le Caveau, puis Un louis, deux francs, six sous, trois centimes Tel que discuté plus haut, s'il y a un Art qui prétend se suffire à lui-même, la réalité économique du dix-neuvième siècle, avec la disparition du mécénat de l'aristocratie, donna naissance à l'écrivain-entrepreneur. Ce sont surtout les progrès de l'imprimerie qui permettront cette évolution, d'abord en mettant à la portée de tout un chacun des journaux illustrés, puis des livres à bon marché, media qui donneront naissance à la fin du siècle à des contrats d'édition fort avantageux pour tout le monde. Mais il fallait être édité! et plusieurs des aspirants à la gloire littéraire ne purent pas puiser dans cette mine d'or. En parallèle des grandes publications — Le Figaro, Le Gaulois, La Revue des Deux-Mondes, La Revue de Paris, Le Constitutionnel, Gil Blas — toute une panoplie de petits journaux et de revues, tout au cours du siècle, s'offre aux amateurs: La Plume, le Chat Noir, Le Décadent, la Renaissance artistique et littéraire, L'Artiste, le Nain jaune, La Vie moderne, La nouvelle revue... où les écoles naissent et les jeunes écrivains débutent. Au sommaire de certains, la liste des contributeurs est souvent exceptionnelle, mais les moins connus de ces messieurs — il n'y avait pas beaucoup de dames — sont souvent de belles découvertes. Il est aussi intéressant de retrouver Jean Moréas ou Léon Bloy dans le Chat Noir, et Émile Goudeau dans La Plume, comme quoi on se fréquentait, malgré les écoles qui finiront par partager tout le monde. Il y a aussi une littérature franchement commerciale: foin des théories, pas d'école, sinon celle du ressort, et l'obligation de plaire au client. Pour le roman, c'est le feuilleton. On l'a vu: il a des racines jusqu'au début du siècle. Il a pu être réaliste, il est maintenant social ou policier, mais peu importe l'étiquette, il est devenu phénoménal. Au théâtre ce seront la comédie de boulevard et l'opérette, et après les deux Eugène, Scribe et Labiche, après Décadence et Symbolisme Finalement, à tout seigneur tout honneur, il se trouva toute une faune poétique et artistique pour explorer les profondeurs, non du "moi", mais de l'être. D'abord on se révolta contre ce monde, d'où toute beauté avait disparu, condamné au mercantilisme et abandonné aux banquiers. On reniera la médiocrité bourgeoise, on sera esthète, on sera décadent. On peut dire que les décadents sont les héritiers des dandys, qui déjà trente ans auparavant se retiraient du commun pour frayer dans le sublime, le raffinement, pour certains la supériorité intellectuelle de leur Art. Et puis est-ce que les dandys n'étaient pas eux-mêmes les héritiers des Jeune-France, qui à l'époque romantique provoquaient la bourgeoisie au Palais Royal de leurs habits et leurs manières à l'artiste? Mais la Décadence de la fin du dix-neuvième siècle sera moins longue que celle de Rome. Bientôt, inspiré de Baudelaire, naît le Symbolisme. L'idée est de ne pas décrire, comme faisaient les parnassiens, la chose, mais de suggérer le sentiment que cette chose provoque. Si en Art le Symbolisme est une école mineure, supplantée par Gauguin ou Van Gogh, en poésie, c'est probablement, comme l'Impressionnisme en peinture, l'école la plus goûtée, en quelque sorte la plus typique, celle qui vient à l'esprit quand il est question de poésie. C'est en grande partie dû à Baudelaire, à Verlaine et ses Poètes maudits, à Rimbaud aussi, devenus mythes littéraires, qui brillent incandescents au front des muses... Oui mais bon... ils n'étaient pas seuls. Entre Stéphane Mallarmé, le chef de l'école, Jules Laforgue, D'accord certains débordent bien un peu de la génération qui nous préoccupe ici. J'admet que certains ne sont pas trop typiques des symbolistes. Mais c'est que le mouvement était riche. Il frappe d'abord par son internationalisme. Le Symbolisme est nordique comme le Classicisme est latin. Là plus que n'importe où ailleurs en littérature, la Belgique égale la France. La supplante diraient certains. Il frappe ensuite par la richesse et la diversité des oeuvres impliquées. Entre un Mallarmé et un Laforgue il y a un monde. Les classiques de la poésie rattachés aux auteurs symbolistes comptent bien pour la moitié du corpus, l'autre étant probablement revendiquée par les surréalistes.
* * * * * De la même façon que littérairement le siècle commence en 1815, il ne se terminera finalement qu'avec la première guerre mondiale. Après les choses auront changées, mais jusque là on est sur la même lancée. Il y a bien une jeune génération, encore symboliste souvent, qui va éventuellement poser les bases de la littérature du vingtième siècle: Proust, Gide, Valéry, Claudel... mais en la présentant je sortirais de mon propos. Il y a bien quelques fidèles du dix-neuvième siècle, comme Pierre Louÿs, Ce qui frappe dans plusieurs des oeuvres de la génération de 1880 c'est l'actualité, sinon de leur style, du moins de leurs préoccupations: la ville, son bruit, sa douleur et ses plaisirs; la fuite à la campagne, le rêve bucolique, l'idéal d'un jadis qu'on n'a jamais vécu; la femme, l'amour, sa chair et sa fuite; les amis, le vin, la chère et la cuite; leurs espoirs, parfois victorieux, mais souvent victimes de la médiocrité — de la force — de la bourgeoisie... Il m'est facile de me retrouver dans tout ça. Comme quoi, si les goûts changent, si on oublie tel ou tel autre, dévêtant Jean pour habiller Jules, si l'histoire, littéraire ou autre, a la mémoire parfois courte, mais moins quand même que celle du lecteur, qui lit l'histoire, mais pas l'oeuvre trop souvent — et je ne lancerai pas ici la première pierre — on peut encore trouver — retrouver — de beaux morceaux de littérature, mieux encore, la pensée, parfois émue, parfois drôle, de quelqu'un qui nous cause d'au-delà de la tombe. Le site que vous regardez a finalement pour but de jouer les médiums et de faire tourner la table où repose un livre défraîchi. À vous de le prendre. |
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