LA REVANCHE DU GUILLOTINÉ
Grand roman d'Aventures par Ponchon du Terrail
PROLOGUE L'HOMME SANS TÊTE I L'Exécution.
Les portes de la Roquette s'ouvrirent lentement.
Une grande rumeur emplit la place grouillante, tandis que le premier reflet du blême soleil de décembre enflammait un coin du glaive.
La silhouette blanche du condamné s'encadra soudain dans le vestibule noir de la prison.
Les journaliste rangés auprès de l'échafaud — et particulièrement MM. Albert Wolf, Alexandre Pothey, Albert Bataille — purent alors contempler à l'aise le héros de l'épouvantable tragédie qui venait de commencer.
C'est un grand garçon, d'une quarantaine d'années environ, aux épaules larges, au cou de taureau sauvage, supportant fièrement une tête de jeune empereur romain. Les ciseaux de M. Vallès avaient fauché l'épaisse moisson des cheveux noirs et tors. Les jambes nerveuses gonflaient de leurs muscles un pantalon noir d'une coupe exquise. Les pieds mignons et cambrés comme ceux d'une jolie femme de haute race, étaient chaussés de bottines élégantes. De cet ensemble de formes harmonieuses et charmantes résultait une force évidente et terrible.
Une clameur d'admiration parcourut les premiers rangs des spectateurs, pétrifiés de surprise et de terreur.
Derrière le patient, le vénérable abbé Charles Monselet, l'aumônier de la Roquette, exhortait le malheureux.
— Du courage, Jean Richepin, l'expiation est proche. La Justice de Dieu ne vous fera pas défaut!
Recommandation inutile, car l'apparition foudroyante de l'instrument de supplice n'avait pas crispé du moindre tressaillement la face de marbre du criminel.
Criminel?
L'était-il?
Nos lecteurs le sauront plus tard.
Cependant, le lugubre cortège s'était avancé vers l'échafaud.
Les deux aides, marchant avec une lenteur relative.
L'abbé Monselet, avec hésitation.
Jean Richepin, avec assurance, fixant obstinément le couteau fatal.
Debout près de l'un des montants de la guillotine, M. Vallès attendait, impassible comme l'image de la Justice.
Un silence sépulcral pesait sur la foule, comme pour entendre les derniers battements de coeur de l'homme qui allait mourrir.
Tout à coup, dans ce silence de mort, un coup de sifflet retentit, violent comme celui d'une locomotive.
Un cri, sinistre, comme celui de l'orfraie, lui répondit.
Evidemment c'était un signal.
Toutefois, Jean Richepin ne parut pas l'avoir entendu.
Il regarda, une dernière fois, le couteau, comme pour le braver, et l'acier qui brillait dans les yeux de l'homme sembla lutter avec l'acier du glaive.
M. Vallès, énervé, donna l'ordre d'en finir.
Les deux aides saisirent le malheureux.
Mais le lion qui dormait dans cet homme de bronze se réveilla au contact de ces mains brutales.
Par un effort suprême, il brisa l'horrible camisole qui lui torturait les membres, et, hagard, écumant, splendide, il bondit sur le bourreau.
Sous le choc, M. Vallès trébucha.
Il fut évidemment tombé, si les deux aides ne l'eussent secouru.
Une lutte ignoble s'engagea.
Comme Damiens autrefois, comme Troppmann, Richepin ne voulait pas mourir.
Les cris : « — Assez! grâce!!... » retentissaient de toutes parts.
Il fallait en finir.
On alla chercher du renfort et le patient fut bientôt ligotté, sur la bascule, tandis que M. Vallès, haletant, levait la main, pour détacher le couperet.
A ce moment critique, un second coup de sifflet, plus strident encore que le premier retentit.
Un cri d'orfraie lui répondit, du côté de la rue de la Folie-Méricourt.
Alors, il se passa une chose étrange.
(La Suite au prochain numéro.)
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