La Revanche du Guillotiné

Deuxième épisode




LA REVANCHE DU GUILLOTINÉ

Grand roman d'Aventures
par
Ponchon du Terrail

PROLOGUE
L'HOMME SANS TÊTE
I
L'Exécution.
(Suite)

Mais afin que nos lecteurs comprennent mieux ce qui va suivre, il est indispensable qu'ils veuillent bien retourner un instant en arrière.

Sur le toit horizontal d'une maison à trois étages, située rue de la Vacquerie, un homme de taille moyenne, mais robuste, enveloppé d'un manteau noir, regardait, immobile.

Depuis deux heures du matin, il était là, insensible en apparence aux mille bruits des alentours.

Sous le grand ciel de suie, il se dressait, sur son édifice-piédestal, comme la statue vivante de l'Attention.

Soudain il tressaillit.

L'horloge de la Roquette venait de sonner quatre heures.

Sur la place, noyée d'ombre, une rumeur grandissait, pareille au bruit de l'Océan qui monte.

A droite de l'inconnu la prison estompait lugubrement sa silhouette sommeillante sur un fond sombre, troué seulement des lueurs pâles des reverbères mornes. L'entrelacement des arbres sans feuilles mettait des hachures grêles sur le dessous gris de ce dessin naturel. A gauche, la maison des jeunes détenus semblait, avec ses grosses tours, un château-fort des siècle passés.

La lune, caché derrière un nuage de cuivre roux, montra tout à coup sa face blanche, éclairant un instant le visage de l'inconnu.

Il faudrait le pinceau d'un Goya pour éterniser l'horreur mystérieuse.

Sur un front dur et fuyant, creusé de rides ressemblant à des ornières, les cheveux drus tombaient, comme une calotte d'encre.

Les yeux, perdus dans l'obscurité des orbites, étincelaient pareilles à deux étoiles rouges.

Le nez fort et volontaire s'écrasait sur une bouche mince perpétuellement tendue — comme un arc d'Indien à l'affût.

Une barbe dure ornait le menton bestial et sanguinaire.

Un large binocle masquait la hideur de cette tête de Méduse comme des vitres aux fenêtres d'un bouge.

Tout à coup, l'homme parla, d'une voix profonde, tandis que les marteaux des charpentiers clouant les montants de la guillotine scandaient ses paroles retentissantes.

— Du calme, Zola, du calme, tu touches enfin à ton but. En laissant guillotiner un innocent, tu couronnes magistralement l'édifice inouï de ton crime. La chute prochaine du glaive de la loi va résonner dans ta vie comme le canon d'une fête nationale. Les deux milliards de la duchesse sont à toi, bien à toi. L'assassinat t'a fait prince, l'argent, sa majesté l'argent, comme disait Xavier de Montépin, va te sacrer roi du grand monde parisien.

Brusquement, l'homme s'interrompit.

Cinq heures tintaient lentement, et les vibrations du métal s'envolaient vers les hauteurs du Père-Lachaise.

Une clameur énorme saluait le cinquième acte du drame, l'apparition du condamné.

Les yeux de l'homme s'ouvrirent ronds comme ceux du hibou nocturne.

Il tira de sa poche une lorgnette de marine et regarda le faîte d'une des hautes tours de la prison des jeunes détenus.

— Bien, murmura-t-il, Tanzi est à son poste, donnons-lui le signal convenu.

Et il se mit à siffler entre ses doigts, un coup de sifflet strident comme celui d'une locomotive.

Soudain il eut un frisson.

Un cri, sinistre comme celui de l'orfraie, venait de lui répondre.

— Diable! gronda-t-il, qu'est-ce que cela peut signifier?

Et prenant sa longue vue, il regarda, fiévreux, du côté de l'échafaud.

Tout à coup, il bondit, en arrière, comme s'il eut marché sur un serpent.

— Malédiction! grinça-t-il, Banville est à leur tête! Nous sommes perdus!

Cependant, un grand cris courait dans la foule: — Assez Grâce!!...

Jean Richepin se débattait aux mains des bourreaux.

— Enfer et damnation! hurla l'homme, il va leur échapper!

Subitement, il poussa une exclamation de triomphe!

Le condamné venait d'être ligoté sur la planche fatale.

L'homme se mit à siffler une seconde fois.

Un second cris d'orfraie lui fit dresser les cheveux sur la tête!

Saisissant une dernière fois sa lorgnette, il regarda, béant.

Alors, ses doigts se crispèrent, une sueur froide perla sur sa face livide, ses yeux, dilatés par l'horreur, s'arrondirent démesurément.

Voici ce qu'il avait vu:

(La suite au prochain numéro.)



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