La Revanche du Guillotiné

Troisième épisode




LA REVANCHE DU GUILLOTINÉ

Grand roman d'Aventures
par
Ponchon du Terrail

PROLOGUE
L'HOMME SANS TÊTE
I
L'Exécution.
(Suite)

Au second cri d'orfraie, poussé dans la direction de la rue de la Folie-Méricourt, les fantassins, qui, l'arme au pied, entouraient l'instrument de supplice, se mirent, sous un signe de l'officier qui les commandait, à tirer des coups de fusil sur la foule.

Les gendarmes et les gardes municipaux à cheval fondirent, sabre au poing, sur la guillotine, dans l'intention évidente de délivrer ce patient, toujours ligotté sur la bascule.

En un clin d'oeil, la place fut vide.

Par les rues adjacentes, courait une populace, livide d'horreur, — une fuite insensée, bousculant les vieillards, renversant les femmes, foulant aux pieds les enfants en bas-âge.

Les crépitements de la fusillade, pareils au bruit d'une toile qu'on déchire, se mêlaient aux clameurs poignantes des victimes.

Le premier atteint avait été M. Vallès.

Une balle lui avait cassé le bras — ce bras qui allait détacher le couperet mortel.

Les deux aides, frappés en pleine poitrine, gisaient sur le pavé, l'oeil vitreux regardant le ciel, la bouche ouverte, une goutte de sang noir figée au coin des lèvres grimaçantes.

Le directeur de la prison, M. Georges Lorin, percé d'une balle dans le dos, était tombé sur le seuil du Dépôt des condamnés.

Seul, des principaux acteurs de cette tragédie, l'abbé Charles Monselet avait pu échapper au carnage.

Parmi les spectateurs, les victimes étaient nombreuses.

Des journalistes : MM. Albert Wolff, Alexandre Pothey, Albert Bataille, Guillaume Livet, Edmond Lepelletier, Albert Leroy, Paul Marrot, Léo Montancey; des artistes : MM. Luigi Loir, Albert Robida, Carriès, Charpentier; des comédiens : MM. Raphaël Duflos, Decori, Gil-Naza, Daubray, Coquelin cadet, gisaient sur le sol, dangereusement blessés.

Quelques balles perdues, crevant les vitres des fenêtres louées à nos belles horizontales, avaient quelque peu endommagé les blanches épaules de Mlles Léa d'Asco, Jeanne Lorgnon, Fanny Robert, Nini Blavier, Léontine Godin, Mmes Durand, Valtesse, etc., etc...

Cependant les soldats, libres maintenant de leurs mouvements, s'étaient mis en devoir de délier le condamné, qui râlait d'épouvante.

C'est alors qu'il se produisit une chose bizarre.

Un troisième coup de sifflet, plus strident encore que les deux premiers, retendit soudain du côté de la rue de la Vacquerie.

A ce signal, l'homme que nous avons désigné sous le nom de Tanzi, et qui, pendant toute cette scène, n'avait pas bougé de son observatoire de la prison des jeunes détenus, épaulant tout à coup une carabine de forme exotique, visa soigneusement l'échafaud, le canon braqué sur le montant de droite de l'instrument du supplice.

Une détonation se fit entendre, et la balle, frappant le bouton juste au centre, détacha le glaive, qui tomba sur le cou du malheureux, tandis que l'échafaud disparaissait dans une excavation profonde, entraînant le décapité.

II
Le Caveau Mortuaire

Des nuages d'encre, pareils à des chevaux noirs, courent dans un ciel de suie.

Parfois, la lune, rouge comme un couteau d'assassin, éclabousse de sang les nuées rapides.

Le cimetière du Père-Lachaise a l'air, dans cette nuit, traversée de vagues éclairs lunaires, d'un décor de mélodrame.

Les grands ifs d'un vert sombre, sentinelles des trépassés, veillent, immobiles, à côté des pierres tombales.

Un silence énorme pèse, comme une calotte de plomb, sur le champ de repos.

Seuls, les hiboux troublent de leurs cris, répercutés de tombe en tombe, l'armistice solennel des éléments muselés.

Dans les allées, les gardiens vont et viennent, comme les sergents de ville du Trépas.

Ecoutons la conversation de deux d'entre eux, qui viennent de se rencontrer près du tombeau de Casimir Périer.

— Eh bien, père Haraucourt, que pensez-vous de cette nuit!

— Fichu temps, père Rollinat, il y a comme une odeur de crime dans le cimetière.

— C'est à croire que les squelettes préparent la conjuration des morts.

Tout en causant, les deux honnêtes fonctionnaires étaient arrivés devant un vaste caveau, au fronton duquel étaient gravés ces mots : Famille Émile Zola

Soudain, le père Haraucourt s'arrêta, murmurant.

— N'avez-vous pas entendu?

— Moi? Rien.

Brusquement, le premier gardien s'approcha de la porte du caveau, sur la grille ouvragée duquel il colla une oreille frémissante.

— Diable! diable!! voilà qui est bizarre, prononça-t-il d'une voix tremblante.

(La suite au prochain numéro.)



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