LA REVANCHE DU GUILLOTINÉ
Grand roman d'Aventures par Ponchon du Terrail
PROLOGUE L'HOMME SANS TÊTE II Le Caveau mortuaire (Suite)
— Quoi? Qu'il y a-t-il? interrogea anxieusement le père Rollinat.
— Ecoutez plutôt.
Tous les deux se turent, tandis que le vent d'hiver soufflant dans les ifs semblait l'âme des défunts psalmodiant des chants funèbres.
Soudain, la bise froide s'arrêta de hurler comme pour écouter, elle aussi.
Un murmure confus de voix humaines paraissait sortir du caveau mortuaire.
— Eh bien! qu'en dites-vous? demanda le père Haraucourt.
— Je dis que c'est étrange et que nous n'avons qu'une chose à faire.
— Laquelle?
— Voilà : pendant que je vais rester ici en surveillance, vous allez vous rendre auprès de M. le conservateur et le prévenir de ce qui se passe.
— C'est cela; veillez bien, surtout.
— N'ayez pas peur, je suis armé.
Rapidement, le père Haraucourt descendit la grande allée du cimetière et s'arrêta devant la maisonnette du conservateur.
La pâle lueur d'une veilleuse nocturne étoilait discrètement l'une des vitres de la fenêtre.
De l'index recourbé, le gardien frappa plusieurs fois contre le carreau.
Rien ne bougea dans la maison.
Le digne fonctionnaire — du médium, cette fois — cogna plus fort.
— Qui est là? demanda une voix de l'intérieur.
— C'est moi, M. Grévy, j'ai une communication à vous faire, de la plus haute gravité.
— Attendez une minute, je me lève.
Quelques instants après, un homme au crâne pointu, aux joues encadrées de favoris coupés droits, sortit de la maison.
— Eh bien, père Haraucourt, qu'avez-vous à me dire?
En quelques mots, le gardien mit M. Grévy au courant de la situation.
L'austère conservateur eut un soubresaut.
— C'est grave, en effet, murmura-t-il; prévenez la brigade Duhamel.
Le père Haraucourt, prenant un petit cors anglais, dissimulé sous son uniforme, en tira un son lugubre comme un dernier appel de moribond.
Les pas cadencés d'une ronde qui approche retentirent sur le sable gelé d'une allée latérale.
— Les voilà, dit le gardien.
— Ce sont eux, confirma M. Grévy.
En effet, le brigadier Duhamel se présenta, deux minutes après, avec ses hommes.
D'un ton ferme, M. Grévy donna ses instructions aux gardiens, à la tête desquels il se mit en marche.
Le père Haraucourt s'avançait, à trois mètres environ, devant la petite troupe.
La lune semblait s'être définitivement cachée.
Dans la nuit, noire comme une cave sans soupirail, la ronde cheminait à tâtons, heurtant le bois pourri des tombes modestes, se cognant au marbre sonore des sépulcres magnifiques.
Parfois, l'aile des vampires effleurait, éventail sinistre, les faces des gardiens résolus.
A trois mètres à peu près du caveau mystérieux, la lune montra son visage pourpre entre deux nuages convulsés.
Soudain, le père Haraucourt fit entendre un bruit rauque, bientôt suivi d'appel anxieux.
— En avant! cria M. Grévy.
Les hommes, résolus, s'élancèrent vers le caveau.
Un horrible spectacle les y attendait.
Le gardien Rollinat gisait sur le seuil, un long poignard planté dans la gorge. Un sang rouge coulait sur son uniforme, comme le grand cordon de la Légion d'honneur.
L'oeil fixe, les dents serrées, il semblait encore défier d'invisibles adversaires. Sa main droite se crispait sur un revolver, déchargé de ses huit coups.
Tout autour, la terre piétinée, témoignait d'une lutte suprême : la lutte d'un homme contre dix, d'un héros contre dix ruffians.
— Vengeance! frères! hurla Duhamel, qui se précipita sur la porte du caveau.
Cette porte était fermée.
Sur un signe de M. Grévy, deux gardiens descellèrent la croix de bronze qui la surmontait, et du sommet de laquelle un hibou s'envola, avec un cri désolé.
S'armant de cette croix comme d'un levier, ils pesèrent sur la porte qui criait de résistance.
Elle s'ouvrit tout à coup.
Une bouffée de vent froid souffla sur les pâles visages des gardiens.
— Et maintenant, mes enfants, de la prudence et du sang-froid! commanda M. Grévy.
L'un après l'autre, comme des spectres réintégrant leur sépulcre, les hommes se glissèrent entre l'étroite porte du tombeau.
(La suite au prochain numéro.)
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