LA REVANCHE DU GUILLOTINÉ
Grand roman d'Aventures par Ponchon du Terrail
PROLOGUE L'HOMME SANS TÊTE II Le Caveau mortuaire (Suite)
Dans l'intérieur, ils écoutèrent, béants.
Une obscurité profonde les entourait.
Le murmure des voix humaines bruissait, non loin des gardiens attentifs.
Il paraissait sortir du sol, comme l'immense plainte des enterrés.
— Il nous faudrait de la lumière, dit quelqu'un.
Le craquement d'une allumette frottée sur le drap bleu d'un uniforme se fit entendre.
Un souffle d'air froid éteignit la maigre flamme.
Mais à sa lueur furtive, les visiteurs nocturnes avaient eu le temps d'entrevoir les deux cierges d'une sorte d'autel au fond du caveau
— Attendez, dit M. Grévy, j'ai de l'amadou sur moi.
Les cierges allumés, les gardiens regardèrent autour d'eux.
Ils se trouvaient dans une de ces chapelles bêtement pieuses où s'abritent volontiers les dépouilles des générations bourgeoises.
Au centre de l'étroit autel dont nous avons parlé une sorte de tabernacle renfermait évidemment les souvenirs précieux des défunts successifs.
Le brigadier Duhamel avança la main, pour ouvrir le réceptacle sacré.
Alors, il se passa une chose incroyable.
De même qu'au coup de sifflet du chef machiniste s'envolent les décors d'une féérie, la physionomie du caveau mortuaire se transforma comme par enchantement.
Les portes du tabernacle s'ouvrirent bruyamment, comme celles d'un hyptique, découvrant un large escalier aux marches hautes et qui semblait conduire à des profondeurs mystérieuses.
Les gardiens descendirent dans cet inconnu, vers les voix qui grondaient maintenant comme un tonnerre.
III Les masques sanglants
Sous les voûtes humides et sombres d'un souterrain, des hommes sont assemblés.
Leurs yeux féroces étincellent, plus rouges que les masques à travers lesquels ils dardent des rayons fauves.
De larges manteaux noirs enveloppant leurs torses herculéens.
Si les acteurs sont terribles, le théâtre ne l'est pas moins.
Aux murs suintant la sueur des défunts, sont suspendues de vastes tentures lie de vin, drapées d'une façon sinistre.
Des squelettes blancs grimacent sur ce décor rouge.
Des lumières aux flammes vertes donnent au spectacle un reflet vague de morgue vivante.
Debout dans une sorte de chaire, le chef parle, d'une voix puissante.
Les cheveux, tondus ras, tombent sur le front, comme une calotte d'encre.
Sur le menton bestial, une bouche mince se tend, comme un arc d'indien à l'affût.
Sa main large, avec des doigts aplatis aux extrémités, tient un papier qu'il lit, en faisant l'appel des conjurés :
— Paul Alexis!
— Présent!
— Huysmans!
— Présent!
— Céard!
— Présent!
— Guy de Maupassant!
Un silence, formidable comme celui du trépas, répond à cet appel.
— Guy de Maupassant! répète le chef d'une voix terrible.
Toujours le même silence.
Alors, le chef, d'une voix effrayante, dit :
— Je vote la mort!
— La mort! la mort! hurlent les conjurés.
Froidement, comme si rien ne s'était passé, le chef continue :
— Francis Enne!
— Présent!
— Dubut de Laforest.
— Présent!
— Approchez! commande le chef.
Un homme de taille moyenne, mais robuste, s'est avancé.
— Vous êtes un traître!
— Mais...
— Pas un mot de plus! Qu'on le mette à la question!
Deux tortionnaires se détachent de l'ombre d'un pilier.
L'un d'eux tient un réchaud où grésillent les mâchoires rougies de tenailles gigantesques.
A cet aspect, le patient est devenu plus blanc que les squelettes des draperies.
— Grâce! maître!
— Silence! et vous à l'oeuvre.
Les bourreaux s'emparent du misérable, et alors, sous l'oeil de bronze des conjurés impassibles,
commence une scène épouvantable, à faire reculer d'horreur les pinceaux de Ribeira.
(La suite au prochain numéro.)
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