La Revanche du Guillotiné

Dixième épisode




LA REVANCHE DU GUILLOTINÉ

DEUXIÈME PARTIE
LE CONCIERGE DU DÉSERT
Chapitre II
Les Pas du châtiment retentissent dans le mur du remords.
(Suite)

Atterré, Émile Zola resta pendant un instant sans voix; le bruit avait cessé.

Dans l'âme ténébreuse du formidable bandit, la crainte allait-elle enfin se faire jour?

Il jeta loin de lui la hache et se rassit.

La pluie tombait à flots, l'orage déchaînait sa fureur, zébrant de ses éclairs de feu la face noire des maisons.

Émile Zola réfléchissait, — terrible. — Ses yeux de bronze, grands ouverts, avaient une indicible expression de férocité; tout à coup il se leva, remit en ordre sa toilette et s'approchant d'un cadre ovale renfermant un portrait de jeune fille, il appuya sur un ornement de la bordure. Tout un panneau se déplaça laissant apercevoir les premières marches d'un escalier.

Émile Zola pénétra dans l'ouverture; derrière lui l'ouverture se referma.

Tirant alors un rat-de-cave il l'alluma et descendit.

A la douzième marche il rencontra un mur. — De son index replié, il heurta légèrement une pierre d'apparence rougeâtre.

Soudain une batterie de tambour éclata et la muraille s'enfonçant, Zola se trouva, dans une lumière éblouissante, au centre d'une grande salle meublé avec un luxe oriental.

Sur un large divan d'une étoffe brochée d'or, une femme pâle aux grands yeux alanguis par le kolh tenait entre ses mains, le bouquin d'ambre d'un narghilé.

Superbement étendue à demi, son corps que pas un voile ne cachait, étalait ses richesses sculpturales.

Blanche, d'une couleur blonde, elle avait l'attitude de la Danaé du Corrège.

Ses jambes polies et nerveusement modelées s'allongeaient impérialement sur le large divan; ses pieds aux ongles nacrés jouaient avec deux mules brodées d'or et de perles.

Le torse, droit, étalait orgueilleusement ses deux seins rigides comme ceux d'une Vénus de Praxitèle.

Coiffée comme la Diane de Poitiers, de Jean Goujon, cette très puissante beauté aux yeux glauques bridés par de longues paupières avait une exacte ressemblance avec LA TERRIBLE FEMME INCONNUE DU LOUVRE; sur sa bouche petite et dont la lèvre inférieure se bombait, errait un cruel et inexplicable sourire.

Ainsi posée dans la nonchalance d'une langueur menaçante, elle regarda entrer Émile Zola.

Doucement, glissant sur l'épais tapis de fourrure, le chef des Masques sanglants s'approcha, exprimant par son allure une adoration fanatique.

Arrivé aux pieds de l'inconnue, Zola se courba et dévotieusement baisa ses pieds; puis relavant la tête il la regarda longuement, avec un air de soumission absolu.

Un silence parfait régnait.

Soudain, un puissant rugissement, retentissant, ébranla les pandeloques en cristal des grands lustres; en même temps deux lions aux crinières noires et un tigre bondissant, vinrent, formidables, se rouler auprès de Zola toujours agenouillé.

— Ah! bonjour Albertus, bonjour Wilson, bonjour Hugo! vous faites toujours bonne garde auprès de notre déesse!

Et, se relevant Émile Zola flatta de sa main les trois gigantesques monstres.

— Ils ne vous ennuient pas Juliette? dit-il.

L'inconnue laissa tomber de sa main la narghilé et d'une voix musicalement cuivrée, répondit. — Non!

— Avez-vous des lettres pour moi? ajouta-t-elle.

— Oui ma fauve tigresse! répondit Zola.

Elle fit précipitamment sauter de leurs enveloppes cinq ou six billets qu'elle lut avec empressement.

— Toujours ce Goudeau, fit-elle.
« Toujours ce féroce individu. Oh! lui et cet Henry Pille!
« Oh! je vous ferai rouler à mes pieds dans des tortures infinies.
« Ce nom de Juliette Lamber que vous couvrez de sarcasme, vous le crierez en pleurant des larmes de sang, en râlant pitié! pitié!!! »

Puis se relevant et chassant d'un geste hautain le tigre qui venait câlinement poser sa tête de monstre sur sa poitrine marmoréenne, elle ajouta :

— Vous m'aimez, Zola; jusqu'à cette heure je me suis refusée à vous, eh bien! le jour ou vous me les amènerez tous les deux ici, pieds et poings liés, Émile Goudeau et Henry Pille, je le jure devant la nature tout entière!!! je vous appartiendrai, je serai votre chose!...

Émile Zola poussa un soupir puissant. Son âme sembla chanter un Te Deum dans ses poumons d'acier.

— Voyons, reprit Juliette Lamber qu'y a-t-il de nouveau? Vous êtes rare depuis quelque temps! N'omettez aucun détail!!!

« La situation doit être changée pour que je reçoive d'aussi étranges lettres de menaces de ces bandits de Pille et Goudeau!

« J'ai consenti à vous accepter comme esclave pour servir ma vengeance. Je veux savoir ce que vous avez fait, comment vous avez exécuté mes ordres. — Songez-y, il vous faut réussir. « Le but atteint, c'est non seulement moi! que vous aurez tout entière, et j'en vaut la peine! fit-elle, en se levant debout rayonnante dans sa superbe nudité que la lumière modelait voluptueusement, mais encore avec moi vous aurez les deux milliards de la Princesse!!!

— Vous plaît-il que nous prenions l'affaire de loin ô ma superbe adorée! dit en s'inclinant Zola, dont les yeux d'aigle jetaient des éclairs fulgurants de passion.

— Racontez, fit Juliette Lamber, en se recouchant sur le divan.

Zola commença ainsi :

— « En 1843 un prêtre que la foi avait poussé jusqu'en Araucanie se trouvait par une journée du mois de mai près des Cordillières, non loin de la petite ville de Kia-Lèhoü.

Harassé, affamé le prêtre M. de Rivesague marchait depuis le matin fuyant les Chiliens qui, à l'improviste, avaient massacré les habitants du village araucanien dont il était la Providence — lorsque des cris de douleur étouffés attirèrent son attention — En s'orientant il s'approcha d'un ravin profond, — c'était du fond de ce ravin que montaient les plaintes s'affaiblissant de plus en plus.

S'aidant des racines et des branches qui poussaient le long des flancs de cette excavation, il parvint jusqu'au fond. Un homme, un chef cacique gisait là, saignant, meurtri, blessé à mort.

Cet homme était le cacique Saï-Hueqüe. Surpris par une bande d'écumeurs du Chili, il avait été soumis à d'épouvantables supplices et ne donnant plus signe de vie, jeté dans ce précipice.

Le prêtre comprit que le cacique allait mourir, il essaya néanmoins de le panser, celui-ci l'arrêta.

« Quoique tu ne sois pas un Araucanien j'ai confiance en toi; écoute et jure-moi devant ton Dieu d'exécuter mes dernières volontés ». M. de Rivesague jura.

Le cacique alors lui révéla le secret d'un trésor enfoui par les Incas depuis quatre siècles — lui en accordant à lui, Rivesague, la moitié à la condition qu'il prendrait soin de son fils, âgé de six mois — auquel lui, prêtre, remettrait la moitié du trésor lorsque le jeune cacique aurait 35 ans.

M. de Rivesague trouva facilement ce trésor composé de diamants et de perles d'une valeur presque inappréciable puisque dix-sept ans après son retour en Europe, les trois quarts des pierres précieuses furent estimées deux milliards trois cent cinquante millions.

M. de Rivesague était arrivé juste à temps pour assister aux derniers moments de son ami le prince Krysinski qui mourait ruiné.

Le prince mourut cependant heureux de savoir que l'abbé de Rivesague n'abandonnerait pas sa fille Marie Krysinska alors âgée de 28 jours.

Le tuteur de la Princesse avait ramené avec lui de l'Araucanie un jeune homme qu'il avait présenté comme le fils d'un européen français, tué par les Chiliens.

On appelait ce jeune homme, Jean Richepin.

Ce jeune homme était le fils du cacique.

Lui et la jeune princesse Marie étaient les seuls héritiers du trésor.

Tous les deux ignoraient l'existence de cette fortune si considérable.

Moi, Émile Zola, le descendant par les femmes de Pizarre, l'éternel ennemi de la race Araucane, je savais qu'elle existait par les parchemins conservés dans ma famille.

Je n'eus qu'un but, aidé par mes téméraires bandits, retrouver ce trésor. Je découvris les traces de Rivesague. Je le suivis jusqu'en France, j'essayais en vain de le faire parler; fatigué de son entêtement, je le tuai d'un coup de couteau. Cependant avant de mourir, Rivesague avait eu le temps de confier à Émile Goudeau en qui il avait confiance, un plan exact du souterrain où il avait caché les deux milliards.

Poursuivant notre plan vous savez comment j'ai fait disparaître Richepin. Sur vos conseils, car c'est à ce moment que je vous ai connue, je réussis à égarer la justice et à lui faire croire que Richepin était bien coupable de l'assassinat que j'avais commis sur la personne de Francis Magnard.

Tout allait au gré de nos désirs. Nous n'étions pas embarrassés par Marie Krysinska. Quand à notre ignorance de l'endroit où gisait cette fortune fantastique, elle eut cessé, j'avais un moyen de la retrouver.

Mais Goudeau et Henry Pille étaient dans l'ombre, aidés de Coquelin cadet et de Barthélémy St-Hilaire, tous délégués par le comité socialiste à Frosdhorff pour y empoisonner le comte de Chambord à l'aide de cigares imprégnés d'acide prussique.

Ils quittent brusquement leur oeuvre inachevée sur un avis mystérieux de Dubut de Laforet et de Guy de Maupassant qui nous trahissaient, et se mettent en travers de notre tâche. Goudeau confie à Krysinska le secret gardé par l'abbé de Rivesague et aidé par le prince de Galles parvient miraculeusement à arracher Richepin à la guillotine.

Tout ce que nous avons fait est à refaire, mais nous le referons! »

— « Tu en as menti! » cria tout à coup une voix formidable dans la nuit, en même temps les lions et le tigre inquiets depuis quelques instants tombaient frappés par un étrange projectile...

(La suite au prochain numéro.)



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