LA REVANCHE DU GUILLOTINÉ
Grand roman d'Aventures par Ponchon du Terrail
PROLOGUE L'HOMME SANS TÊTE III Les Masques sanglants (Suite)
Un des conjurés — celui qui, à l'appel du président sinistre, avait répondu au nom de Céard — tournoya soudain sur lui-même et tomba comme une masse de plomb sur le sol humide.
Une balle invisible lui avait traversé le poumon droit.
La stupeur figea un instant la parole aux lèvres des Masques sanglants.
Puis un souffle de colère gronda saur l'assemblée.
— Vengeance! hurlèrent cent voix, vengeance! On assassine nos frères! Mort aux envahisseurs!!!
— Silence! dit simplement le chef, devenu plus grave encore.
Tous se turent.
Alors, dardant des prunelles de braises sur Dubut de Laforest, qui se tordait dans de suprêmes convulsions de serpent coupé en deux, le Président tonna :
Traître! tu crois triompher dans la mort, détrompe-toi! Le secret que tu leur as vendu mourra avec ses possesseurs!
Et le chef commanda, d'une voix retentissante :
— Au grand ressort! appuyez ferme! que pas un de nos ennemis ne s'échappe!
Alors il se passa une chose inouïe.
Quatre des plus robustes parmi les Masques sanglants s'arcboutèrent sur une sorte de levier dont les membres d'acier luisaient dans la pénombre.
M. Grévy et les gardiens, sentant l'approche d'une chose terrible, s'arrêtèrent de tirer.
Soudain, le chef ôta son masque.
— Emile Zola! crièrent les gardiens, pendant que les lampes sépulcrales s'éteignaient d'un seul coup, comme sous un souffle d'outre-tombe.
Soudain, le sol trembla, comme secoué par l'éruption d'un Etna gigantesque.
Un bruit formidable, répercuté par la sonorité des voûtes, éclata tout à coup, pareil à la voix de bronze de cent Canons Krupps, crachant la mitraille et la mort.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
A présent, le silence, comme un grand suaire impénétrable, est tombé sur le bruit des cent tonnerres et plane, comme un énorme oiseau de cimetière, sur cet asile du trépas.
IV L'oeil de l'Horrible éprouve un tressaillement
Le matin se leva dans la buée d'argent des brouillards attendris.
Les tombes découpaient leurs silhouettes d'un gris rose ou d'un brun puissant sur la masse feuillée des sombres ifs, sinistres mangeurs de morts.
Au dessus de la nécropole, passaient, sur le voile pâle du ciel, de longs vols capricieux d'oiseaux d'hivers, troublant seuls, de longs battements d'ailes, la respiration sereine des fleurs grasses, repues de décompositions.
Huit heures sonnèrent pendant quelques instants, comme un carillon monotone, aux clochers des églises et le rugissement de la ville-lionne, qui se réveillait affamée et furieuse,
vint jeter, dans le calme harmonieux de l'asile de mort, la clameur épouvantable de la vie.
Cependant, les portes du cimetière restaient fermées.
Sur le seuil des boutiques, les petits marchands, inquiets, faisaient de nombreux commentaires, s'informant auprès des sergents de ville sévères.
La demi de huit heures tinta dans le clocher voisin de Saint-Ambroise.
On alla prévenir M. Mélandrie, le Commissaire de Police.
Aussi bien, la situation devenait inquiétante.
Déjà, par de longues files, les enterrements montaient la rue de la Roquette, et arrivés au rond-point, stationnaient devant les portes closes.
Il en résultait un encombrement scandaleux de corbillards de toutes classes et de cortèges plus ou moins richement vêtus.
Quand M. Mélandrie, la taille serrée par l'écharpe tricolore accompagné par l'officier de paix et quelques agents, arriva boulevard Ménilmontant, une odeur nauséabonde s'échappait des cercueils accumulés.
D'une main ferme, l'intègre magistrat secoua la grosse cloche d'appel, puis il attendit.
La porte resta obstinément fermée.
De nouveau M. Mélandri sonna.
Pas plus de réponse que la première fois.
Alors, d'une voix inquiète, mais assurée, le Commissaire dit :
— Au nom de la loi ouvrez!
Le sifflement lugubre du vent dans les arbres répondit, comme un ricanement, à cette injonction de l'autorité.
— Bien, fit la magistrat, agent Carjat et agent Nadar, faites votre devoir!
Armés de lourds marteaux, les agents susnommés, sortes d'hercules fauves, se mirent en mesure de briser la lourde porte de bronze.
— Attendez! attendez donc!!
Peu après, la porte s'ouvrit, avec un grincement criard.
La figure défaite du conservateur Jules Grévy apparut.
Derrière lui, s'alignait l'escouade des gardiens, couverts de boue et de sang.
— Qu'y a-t-il donc? interrogea M. Mélandrie.
— Venez! dit simplement M. Jules Grévy
Le conservateur et le magistrat, suivis d'agents et de gardiens, montèrent la grande allée du Père-Lachaise.
— Au bout de cinq minutes d'une marche haletante, ils s'arrêtèrent dans une sorte de carrefour, aux rues bordées de tombes.
Un horrible spectacle les y attendait.
(La suite au prochain numéro.)
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