Scholl parodie ici le style de trois romanciers fameux du Second Empire, de quelque peu ses aînés. Parmi les oisifs et les gens d'affaires qui déjeunaient ce matin au Café des dix Colonnes, tenu par le sieur Feuilleton, on remarquait trois personnages encore jeunes dont l'air et la tournure n'étaient pas ceux de tout le monde. Si quelqu'un des passants avait demandé leurs noms à M. Michel Masson1, agent-général de la Société des gens de lettres, M. Michel Masson lui eût répondu: — Le premier est M. Après avoir fait enlever la vaisselle qui encombrait leurs tables, ces messieurs ont demandé ce qu'il faut pour écrire, et se sont mis à l'ouvrage. m. champfleury, écrivant. — jean chouyou, souffrances domestiques des Porteurs d'eau. — Chapitre premier. — Les personnes qui passent à huit heures du matin par la rue Grégoire-de-Tours, ont pu remarquer au pied d'un mur humide et lézardé qui se trouve à droite, un peu avant d'arriver dans la rue de Buci, un amas d'ordures dont l'observation ne manque pas d'intérêt. C'est un amas pittoresque de bouts de carottes, de cosses de pois, de feuilles de salade, d'arêtes de poisson et autres rebuts. A de certaines saisons, les côtes odorantes du melon et la peau fine et rouge de la tomate viennent augmenter l'attrait du coup d'oeil. Les os y sont rares, on les vend jusqu'à trois sols la livre pour fabriquer du noir animal, denrée qui sert à raffiner le sucre. m. henry murger. — misère et printemps, scènes de Peinture et d'amour. — Au mois de mai dernier, un jeune couple monta lestement dans l'omnibus qui conduit les voyageurs depuis la station d'Enghien jusqu'à Montmorency. Le ciel était bleu comme un prussien. Les rayons du soleil s'allongeaient comme des cils lumineux autour de cet oeil éclatant dont le regard nous échauffe et nous réjouit. Les arbres, tout couverts de bourgeons et de fleurs, agitaient leurs panaches parfumés où les oiseaux, secouant la sonnette de leur satisfaction, semblaient donner la répétition générale de l'opéra du printemps. m. charles monselet, se parlant à lui-même. — Je n'aurai jamais fini!… Faire à la fois ma nouvelle pour la Presse et le cinquième numéro du Gourmet, journal des intérêts gastronomiques… Enfin! (il écrit) la femme passionnée.— Chapitre premier. — La comtesse Berthe de Riflis venait d'atteindre sa vingt-septième année, et jusqu'à ce moment, sa conduite avait été irréprochable. Les escargots à la bordelaise demandent à être cuits à grand feu, en prenant garde, cependant, de ne pas faire brûler les coquilles, ce qui serait infect. Elle avait résisté aux séductions dont elle était entourés, aux hommages des jeunes gens, aux assiduités des vieillards. Le comte de Riflis, son époux, ne lui savait aucun gré de sa vertu. C'était un homme de moeurs douteuses et d'une réputation fort entamée. On l'avait surpris quelquefois volant au jeu, ce qui avait éloigné de lui quelques personnes austères. Après avoir haché votre ail et votre persil, vous prenez une mie de pain et mêlez le tout. Il suffit d'un instant pour faire votre roux. m. champfleury, continuant. — Un homme sale et mal mis, appartenant à la lie du peuple, s'arrêta devant les immondices. Cet homme, c'était Jean Chouyou, notre héros. Il les considéra avec une attention pleine d'amour; puis, tout à coup, il pâlit horriblement. « — Mon Dieu, murmura-t-il sourdement, elle ne m'aime plus? » Cet homme aux larges épaules, aux cheveux roux, aux mains noires et velues, aimait éperduement une femme de journée qui faisait le ménage de M. Nourrichet, employé du Mont-de-Piété. Cette femme, nommée mademoiselle Porquin, avait coutume d'indiquer des rendez-vous à son amoureux par la disposition des morceaux de navet et par l'arrangement des cosses de pois. C'est ce que les orientaux appellent selam. m. henry murger. — La jeune fille portait une capote rose dont les reflets donnaient à ses joues une animation qui déguisait mal son état maladif: Berthe était poitrinaire! Théodore, son compagnon, n'avait rien mangé depuis trois jours. Il était peintre, et la misère habitait son atelier; encore la misère devait-elle trois termes! m. charles monselet. — Voici comment s'accomplit dans le coeur de la comtesse de Riflis le bouleversement qui devait décider de son avenir. Avant de faire cuire vos escargots, informez-vous s'ils ont jeûné le temps suffisant. Faute de cette précaution, vous auriez une nourriture malpropre. Élevés au couvent de Sainte-Conradine, la comtesse avait puisé dans l'éducation religieuse ce calme et cette sérénité qui sont comme un rempart où le bélier du libertinage ne saurait faire brèche. Faites cuire des haricots rouges avec deux ou trois oignons. Passez en purée et mouillez. Ajoutez du beurre et versez sur des croûtons frits. Femme du monde avant tout, nature délicate comme la sensitive, elle ne pouvait guère… Le saumon doit suer à la braise… Eh! doucement, j'allais mettre la comtesse à la sauce aux câpres… Etc.
Aurélien Scholl 1 - Michel Masson (1800-1883), auteur dramatique, romancier et journaliste français |
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