La Revanche du Guillotiné

Quatorzième épisode




LA REVANCHE DU GUILLOTINÉ

DEUXIÈME PARTIE
LE CONCIERGE DU DÉSERT
Chapitre IV
Le Numéro Un.
(Suite)

— Dans quel but vous êtes-vous réfugié à Paris?

— D'abord pour échapper à la potence; ensuite pour frapper une victime désignée à mon poignard vengeur.

— Quelle est cette victime?

— Le Prince de Galles.

L'héritier de la couronne d'Angleterre tressaillit, comme secoué par une soudaine attaque d'épilepsie.

— Remettez-vous, Altesse, dit le cabaretier, lequel continua, s'adressant au concierge du désert :

— Ainsi vous ne rougissez pas d'avouer l'intention dans laquelle vous étiez de commettre un tel forfait?

— Je m'en glorifie, au contraire; et si les dieux de l'Irlande veulent que j'échappe au piège dans lequel vous m'avez fait tomber, j'espère bien débarrasser mon pays d'un tyran.

— Ces dieux me semblent jusqu'ici peu favorables à ces bénins projets, murmura le prince de Galles, avec un rire à la Taillade.

Salis continua :

— Pourriez-vous me dire d'où provenait l'explosion que nous avons entendue tout à l'heure?

— De l'Élysée.

— Misérable! vous vouliez donc aussi assassiner M. Wilson, sans pitié pour le petit être que vous laissiez ainsi sans défense?

— Attendez... de l'Elysée-Montmartre.

— Mais il n'y avait pas bal.

— Justement.

— Voyons, expliquez-vous un peu plus clairement, c'est la bouteille à l'encre!

— C'est bien simple. La porte fermée, l'absence de toute illumination détournent les soupçons de votre police. Mais derrière cette porte fermée, dans cette obscurité formée par l'absence de toute lumière, des conjurés sont réunis. On y voit toujours assez clair lors que la haine du despotisme allume dans les yeux l'étincelle de l'indépendance.

— Dans quel but étiez-vous réunis?

— Pour tirer au sort celui qui devait mettre le feu à la mèche,

— Qui vouliez-vous donc faire sauter?

— Le prince de Galles.

L'héritier de la couronne d'Angleterre tressaillit une seconde fois, comme s'il eût ressenti l'explosion.

— Vous supposiez donc qu'il était à Paris?

— Nous étions certains qu'il devait venir au Chat Noir.

— Cela ne nous explique toujours pas l'explosion de tout à l'heure.

— C'est pourtant bien simple : la mèche avait été mal placée. Nous avons fait sauter l'Elysée au lieu de faire sauter le Chat Noir.

— Alors, tous vos complices sont morts?

— Tous. Moi seul ai pu échapper par miracle. Projeté contre un mur étroit avec une force irrésistible, j'ai pu grâce à ma robuste constitution, passer au travers sans perdre connaissance. Je me suis retrouvé dans cette cave. Un bruit lointain de voix avait frappé mon oreille. Je me suis approché, et, apercevant le fils de Victoria, j'ai tiré sur lui la balle...

— Que j'ai reçue. Décidément, vous n'êtes pas très heureux. Vous partez d'Irlande, vous et vos complices, dans l'intention de débarrasser votre pays d'un héritier présomptif du trône et vous obtenez ce ridicule résultat : Le prince de Galles triomphant; vous, dans une oubliette et vos complices dans la tombe!

— Pas encore! tonnèrent plusieurs voix avec un bruit d'orage.

Et, en moins de temps qu'il n'en faut pour le raconter, le prince, Salis, Tanzi et le Tigre, aveuglés, garrottés, baillonnés, se sentirent soulever de terre par une force surnaturelle et précipiter dans l'oubliette, dont le couvercle se referma sur eux avec un bruit de cercueil qu'on enterre.

CHAPITRE V
La Crue

Le bruit de quatre chutes successives et profondes, quoique amorties par un corps humain, se fit entendre dans l'oubliette.

Un seul cri, un seul, poussé par Willette, écrasé comme sous une voiture de pierres de taille.

Puis, plus rien, le calme du tombeau.

Pourtant, dans ce silence, une voix parla.

Une voix qui, s'ils eussent pu l'entendre, eût fait trembler les malheureux comme un faible arbuste au premier vent d'hiver.

Une voix qui partait de l'orifice du souterrain implacable.

Lui, enfin, toujours LUI!

— Ah! ah! ricana-t-il comme une hyène en rut, vous croyiez me tenir, c'est moi qui vous tiens, ou, plutôt, c'est la mort; elle ne vous lâchera pas. Willette, que je retrouve toujours sur mon passage; Tanzi, mon complice de la place de la Roquette; le prince de Galles, mon ennemi mortel; et toi, Tigre, brute infâme, tremblez tous! Ma vengeance est plus effrayante que vous ne pensez! Etourdis par le choc, vous reviendrez à vous, vous sortirez du rêve de la mort pour entrer dans le cauchemar de la vie. Les tenailles de la faim vous déchireront la poitrine. Vous vous mangerez entre vous. Vous lutterez contre une innombrable vermine. Et, lorsqu'au prix de mille efforts, vous aurez conservé un peu de votre vie, l'inondation, l'insaisissable inondation vous prendra dans ses bras humides pour vous étouffer!....

La trappe se referma une seconde fois, comme un couvercle de bière.

Dans les ténèbres opaques, le cri aigu des rats se faisait seul entendre.

Soudain, une voix basse dit :

— Maître! où êtes-vous?

C'était le Tigre. Grâce à sa constitution exceptionnellement robuste, il était revenu le premier à la vie.

Rien ne répondit à l'appel du fidèle serviteur.

En homme méthodique et rangé, le premier soin du Tigre, en rouvrant les yeux, avait été de constater qu'il avait toujours ses lunettes. Son second fut d'appeler son maître.

Ce dernier ne répondant pas, le Tigre se mit en devoir d'allumer une allumette.

Il chercha dans sa poche, à cet effet.

Horreur! il ne possédait plus que quatre de ces petits bouts de bois inoffensifs.

Le premier qu'il frotta s'éteignit aussi vite qu'il s'était allumé.

Mais, à sa faible lueur, le colosse tranquille avait pu voir les corps de ses compagnons toujours inanimés.

Le Tigre attendit qu'ils revinssent à eux.

Soudain une autre voix basse parla.

— Blanche.... Léonide.... Hortense.... où êtes-vous?

— Me voilà, sire, répondit le Tigre, qui avait reconnu la voix du prince de Galles.

— Ah! pardon, mon brave, je me croyais dans les bras de Vénus. Où diable sommes-nous ici? C'est noir comme les regards de M. Gladstone.

— Dans l'oubliette, sire.

— Ne m'appelez pas Sire, je ne suis encore qu'Altesse. Avez-vous des chimiques?

— Oui, Sire.... pardon.... Altesse!

— Allume, allume.

Le Tigre alluma.

Retirant le diamant d'une autre bague qu'il avait à l'annulaire de la main droite, le prince de Galles en tira une lanterne lilliputienne, ornée d'une bougie inusable et merveilleuse.

Quelques instants après, une lumière éclatante envahit l'oubliette.

Un horrible spectacle s'offrit aux yeux des deux hommes :

(La Suite au prochain numéro.)



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