La Revanche du Guillotiné

Treizième épisode




LA REVANCHE DU GUILLOTINÉ

DEUXIÈME PARTIE
LE CONCIERGE DU DÉSERT
Chapitre III
Le Tribunal au Chat Noir.
(Suite)

Ils se trompaient.

Au moment où se produisait l'épouvantable explosion, la cave mystérieuse trembla de tous ses piliers, comme sous l'étreinte d'un Samson gigantesque, mais elle ne s'écroula pas.

Les juges et l'accusé perçurent seulement un bruit sourd, comme une dégringolade voisine de décombres.

— Qu'est-ce que tout cela peut bien vouloir dire? balbutia le prince de Galles, pâle comme un linge.

— Votre Altesse est bien curieuse! cria soudain une voix inconnue, qui paraissait sortir d'un des nombreux couloirs du labyrinthe souterrain.

— Qui va là? Qui vive? hurla Salis, en armant bruyamment un pistolet d'arçon qu'il avait à sa large ceinture rouge.

Pour toute réponse, un coup de feu retentit et une balle de revolver vint frapper la large breloque qui se balançait sur le gilet somptueux du cabaretier, sauvant ainsi son propriétaire d'une mort inévitable.

Salis n'eut pas un tressaillement.

— Nous ne nous trompions pas, dit-il tranquillement, en ramassant la balle, qu'il examina, c'est bien au concierge du Désert que nous avons affaire.

— Drôle de profession! s'exclama le prince de Galles.

— Dont vous aurez l'explication, monseigneur, car nous allons nous mettre à la recherche de celui qui l'exerce.

— Il doit être déjà hors de notre atteinte.

— Impossible, monseigneur, cette cave n'a qu'une issue, celle par laquelle nous y sommes entrés. Le misérable s'est évidemment caché quelque part, mais il ne nous échappera pas.

Sur un signe du cabaretier, deux des hommes d'armes se rangèrent autour de Sarah-Bernhardt.

— Toi, la Voix d'Or, tu vas veiller sur Zola; s'il sortait de son évanouissement, ces deux hommes sauraient bien le mettre hors d'état de nuire.

S'adressant aux autres gardes, Salis leur dit :

— Vous, gardez soigneusement la porte. Maintenant, qu'on éteigne toute lumière.

Une obscurité profonde s'abattit sur le caveau.

Dans cette ombre, noire comme de l'encre, le patron du Chat Noir parla — et les accents de sa voix étouffée se mêlèrent au bruit funèbre des chauves-souris réveillées.

— Maintenant, Messieurs, et vous, Monseigneur, prenez ma main, et suivez-moi.

— Mais on n'y vois goutte, hasarda l'héritier de la couronne d'Angleterre.

— N'ayez crainte, Altesse, le Tigre y voit pour nous, n'est-ce pas, Tigre?

Un sourd grognement fut toute la réponse du colosse.

Salis, le Prince et Tanzi se mirent en marche, conduits par le Tigre.

Alors commença une poignante chasse à l'homme.

Une chasse longue comme un siècle, où le battement des coeurs troublaient seul le silence profond; où les yeux du Tigre, brillants comme des prunelles de chats, luisaient seuls dans les ténèbres épaisses.

Ce dernier, soudain, poussa un cri rauque, auquel répondit un éclat de rire sardonique, comme en doivent avoir les damnés.

— A moi, maître, je le tiens! gronda le géant.

Le bruit d'une courte lutte ébranla le sol et s'arrêta bientôt.

Salis alluma une lanterne sourde, à la pâle lumière de laquelle les assistants purent apercevoir un spectacle inattendu.

Haletant sous l'étreinte inexorable du Tigre, un être, un homme peut-être, gisait sur le sol moite d'un petit carrefour circulaire, ou aboutissaient quatre étroits couloirs.

Créature étrange, gnome bizarre, qu'on eût cru sorti de quelque légende bretonne.

Figurez-vous une tête taillée à coup de hache dans le granit d'une pierre levée.

Deux yeux louches et sans cesse en mouvement, indiquent seuls que cet être est vivant.

La bouche, résolue et sardonique; le menton, d'une carrure puissante, orné d'une barbe mal taillée, accusent une énergie surhumaine.

Des cheveux coupés en brosse allongent encore un crâne d'une hauteur et d'une étroitesse démesurées — front d'homme de génie, ou d'hydrocéphale.

— Enfin, nous le tenons, s'exclama la cabaretier; Tigre, mets lui les poucettes.

L'hercule n'en eût pas le temps.

Un second éclat de rire du prisonnier, plus démoniaque encore que le précédent, fit couler une sueur froide dans le dos des spectateurs de cette scène.

Et avant que ces derniers maîtrisassent leur terreur instinctive le sol du carrefour s'ouvrit, entraînant dans une sorte de puit, les deux combattants entrelacés.

CHAPITRE VI
Le Numéro Un.

Salis, le prince et Tanzi se penchèrent vivement sur l'ouverture béante.

Cinq secondes se passèrent, cinq éternités.

Le bruit sourd d'une chute retentit au fond de l'oubliette.

Puis, plus rien, un silence sépulcral.

— Diable! dit le prince, le puits est profond, votre Tigre s'est tué, probablement.

— Lui, allons donc! un vrai chat! écoutez plutôt.

D'une voix forte, la cabaretier appela :

— Tigre!

— Maître! répondit une voix lointaine et qui semblait sortir des entrailles même du sol.

— Qu'en pense votre Altesse? dit Salis au prince de Galles.

— Sapristi! le gaillard a la vie dure!

Salis appela une seconde fois.

— Tigre! où es-tu?

— Dans une oubliette, maître, avec l'homme.

— Respire-t-il encore?

— Je crois bien, maître, il me mord le pouce.

— Ligotte-le soigneusement.

— C'est fait, maître.

— Est-il absolument garrotté!

— Comme un vrai saucisson de Lyon.

— Bien. Peux-tu venir nous rejoindre?

— Ce sera difficile, maître, les murs sont lisses comme les cheveux d'une pensionnaire.

Le prince de Galles intervint.

Retirant le diamant d'une bague splendide qu'il avait à l'index de la main gauche, il prit dessous un objet microscopique qu'il tendit au tavernier.

— Qu'est-ce que cela, Votre Altesse?

L'héritier de la couronne d'Angleterre, roulant la chose entre ses doigts, en fit une échelle en acier trempé imperceptible, longue de 8 mètres 75 et d'un solidité à toute épreuve.

Tanzi et le cabaretier regardaient, pétrifiés d'admiration.

Une minute après, le Tigre, couvert de terre, ses lunettes brisées sur son nez, apparut à la surface du puits.

Salis, alors, se penchant une seconde fois, sur l'oubliette, dit :

— Homme qui êtes au fond, tenez-vous à la vie?

Un courant d'air humide répondit seul au cabaretier.

Il continua néanmoins :

— Si vous répondez aux questions que je vais vous poser, vous aurez la vie sauve. Sinon, vous serez mangé par les rats ou noyé par la prochaine crue des petits lacs de la place d'Anvers.

— Je suis prêt à vous répondre, dit la voix lointaine du malheureux.

— Bien. Votre nom?

— Adolphe Willette, dit le Concierge du désert.

— Pourquoi vous a-t-on donné ce surnom?

— Parce que, pour détourner les soupçons, je me suis établi portier d'une cité, situé dans la rue de Charonne et qu'on a surnommée le Désert, à cause de l'absence complète d'habitants.

— Alors, cette sinécure cache une autre profession.

— Oui, monsieur.

— Quelle est cette profession?

— Membre de la Land-Leag d'Irlande.

— Seriez-vous un des assassins de Lord Cavendish et de Sir Robert Burke?

— C'est moi le fameux Numéro un, celui sur lequel la police anglaise n'a pu mettre la main.

— Misérable! gromma le prince de Galles, Marvood veut son sang!

— Du calme, Votre Altesse, il importe que nous sachions tout.

— L'interrogatoire étrange continua :

(La Suite au prochain numéro.)



Lisez l'épisode suivant !
Vers l'introduction
Vers la page d'accueil