LA REVANCHE DU GUILLOTINÉDEUXIÈME PARTIE Alors, puisant dans l'instinct de la conservation une force surnaturelle, il se dégagea par un effort suprême de l'étreinte de son royal agresseur, et avant que ce dernier fût revenu de sa surprise, Emile Zola, d'un coup de tête dans la poitrine, envoya le Prince rouler sur le sol. — Bien touché! hurla une voix rauque, celle de Bibi de Montmartre. Ce fut comme une étincelle tombée dans un baril de poudre. Les buveurs qui, jusqu'alors, avaient assisté au combat en spectateurs désintéressés, se partagèrent en deux camps, les uns prenaient parti pour Emile Zola, les autres pour l'héritier de la couronne d'Angleterre. A en juger par les éclairs fauves, brillant dans les yeux des nombreux acteurs de cette lutte, elle allait évidemment tourner en boucherie. Salis, de son coup d'oeil d'aigle, mesura le danger. D'une voix terrible, il cria : — A moi, Tigre! A cet appel, l'homme au cou rasé que nous avons désigné sous ce nom, se leva, comme mu par un ressort irrésistible; posa, d'un geste pacifique, ses lunettes sur la table, et, lancé comme une catapulte, bondit sur Zola épouvanté. Saisissant dans ses poings d'acier les jarrets de fer du monstre, il l'éleva sur sa tête, le fit tournoyer comme une massue vivante, frappant à tort et à travers les combattants pétrifiés. En un clin d'oeil, dix, vingt bandits, churent, assommés, sur le sol décarrelé du bouge. Ceux qui avaient pu éviter les coups formidables du colosse tranquille, disparurent comme par enchantement. Zola, Sarah-Bernhardt, le Prince et Salis restèrent seuls sur le champ de bataille jonché de victimes. Lâchant soudain Zola — qui s'aplatit par terre avec un bruit sourd — le Tigre dit simplement. — C'est fait, maître. Et, comme si rien ne s'était passé, il remit pacifiquement ses lunettes, retourna s'assoir dans son coin sombre, devant une table, sur laquelle il se mit à tracer, avec de la sanguine, des signes géométriques mystérieux. S'adressant alors au Prince, Salis lui dit en lui montrant un siège de forme bizarre et fixé au sol par des clous énormes : — Que votre Altesse royale veuille bien asseoir son auguste personne sur ce fauteuil Henri VIII. Avec une élégance suprême, le prince s'exécuta. Salis continua, s'adressant cette fois à Sarah-Bernhardt : — Toi, la Voix d'Or, confie-toi un instant à mes bras robustes; D'un mouvement plein de grâce, la grande tragédienne se jeta sur la large poitrine du tavernier. Désignant le corps de Zola, toujours inanimé, Salis conclut : — Maintenant, Tigre, charge ce misérable sur tes épaules. Dérangé dans son travail géométrique, le colosse fit entendre un bâillement sinistre, comme ceux de ses frères des jungles — Eh bien, m'as-tu entendu, réitéra Salis. Posant une seconde fois ses lunettes, le tigre obéit. Et maintenant, commanda le cabaretier, au bouton! D'un violent coup de pied, le Tigre ébranla le sol, qui s'ouvrit soudain, engloutissant, dans trois oubliettes béantes le prince de Galles, Salis et le Tigre, avec leurs fardeaux humains
CHAPITRE IV Dans une cave étroite, trois maigres lampes à pétrole, éclairent lugubrement une mise en scène tragique. Sur un tribunal orné de draps mortuaires, trois hommes masqués siègent, immobiles comme des statues de jais. Tout autour, des hommes d'armes, de tournures exotiques, luttent d'immobilité avec les juges. Dans tous ces hommes de pierre, il n'y en a qu'un qui paraisse vivant. Lui, toujours LUI! Emile Zola, l'accusé. Au moment où, caché derrière un tonneau de bière, nous nous introduisons subrepticement dans la cave fatale, le président interroge le monstre : — Ainsi, vous prétendez être innocent de tous les forfaits qu'on vous impute? — C'te blague! — Ne simulez pas le cynisme; cette attitude convient peu à l'assassin de la famille Kinck, au bourreau qui a laissé exécuter, sous le nom de Troppmann, un innocent avéré. — Je le nie! — Niez-vous aussi que vous avez laisser mourrir un autre innocent, Jean Richepin? — Certes! — C'est trop fort! Huissier, introduisez l'homme! A ce commandement du prince de Galles — malgré son masque, nos lecteurs l'ont reconnu — un des guerriers sortit soudain et s'enfonça dans un des nombreux couloirs aboutissant au tribunal. Quelques minutes après, il revient, précédent le témoin invoqué. Le nouveau venu était un homme d'une trentaine d'années, portant avec l'élégance que donne une force harmonieuse, le costume des caciques d'Araucanie. A sa vue, Emile Zola perdit toute son assurance. Ses cheveux se hérissèrent sur son front bestial, ses larges narines aspirèrent l'atmosphère souterraine avec un bruit de soufflet de forge, et, de sa gorge contractée par l'épouvante, un seul cri sortit, haletant. — Tanzi! le cacique philosophe! — Dites ce que vous savez, commanda le président au témoin. Mais au moment où ce dernier allait prendre la parole, une immense détonation retentit, la cave, comme soulevée, par une éruption volcanique, sauta comme une citadelle minée — pendant qu'un carillon formidable retentissait dans l'air secoué, couvrant même le bruit terrible de l'explosion. Au moment où la catastrophe se produisit, une même exclamation d'épouvante sortit de la bouche des victimes! Le Concierge du Désert!! nous sommes flambés! (La suite au prochain numéro.) |
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