La Revanche du Guillotiné

Neuvième épisode




LA REVANCHE DU GUILLOTINÉ

Grand Roman d'Aventures
Par Ponchon du Terrail

PREMIÈRE PARTIE
LE CONCIERGE DU DÉSERT
Chapitre Ier
Escarpes et ruffians.

A travers le dédale des ruelles fangeuses où les maisons lépreuses se penchaient les unes sur les autres, un homme d'une quarantaine d'années, la figure ravagée par la fureur, marchait fiévreusement.

Cet homme quel était-il?

Nos lecteurs perspicaces et spirituels, l'ont deviné.

Lui, toujours lui, Émile Zola!

La nuit venait, une nuit sans étoiles et sans lune.

Dans l'obscurité montant du sol, et s'épaississant de plus en plus, la marche seule de l'étrange bandit résonnait.

Des hurlements de chiens affamés et perdus mettaient au loin leurs discordance dans la solitude farouche.

— Willette! Willette!!! Monologuait le terrible chef des Masques sanglants. — A nous deux, il faudra que tu parles.

Tout à coup l'homme s'arrêta, il lui semblait avoir entendu glisser un pas furtif derrière lui.

Brusquement il se pencha sur le sol et écouta.

— Oh! susurra-t-il, je suis suivi!

Avec une très grande précaution il se blottit alors dans une sorte de masure en ruine, et, anxieusement, attendit.

Cinq minutes se passèrent.

Le silence le plus absolu régnait.

Les hurlements de chiens avaient cessé.

Soudain un corico strident retentit.

Fiévreusement, Émile Zola se fouilla et retira de sa poche une longue navaja, l'ouvrit et la saisissant à pleine main, l'oeil injecté de sang, il scruta la nuit.

Une ombre apparut découpant sa silhouette fantastique sur la muraille de la ruelle.

D'un bond de jaguar Émile Zola s'élança. — Un éclair d'acier brilla — un cri sourd retentit — l'ombre s'affaissa.

Les nuages opaques cachant la lune s'écartèrent et l'exsangue Phébée put apercevoir le spectacle horrible d'un homme se débattant sur le sol.

Auprès de lui, Émile Zola, le couteau à la main, regardait avec le cynisme abject d'un naturalisme habitué au crime.

— Tu ne me suivras plus, Waldeck-Rousseau! dit-il.

Brusquement il s'arrêta, il lui avait semblé percevoir un bruit insolite.

Rampant sur le sol comme un Apache ou un reptile il regagna sa cachette.

Trois hommes, marchant rapidement, apparurent.

Poussant un cri d'horreur, ils se penchèrent sur le moribond, qui râlait l'agonie dernière.

Bloy! Consultez le coeur! dit celui qui semblait le chef de la petite troupe.

— Eh! bien? interrogea-t-il.

— Waldeck-Rousseau est bien mort! Monsieur Renan, nous sommes arrivés trop tard.

— Mille tonnerres! Hurla le troisième, M. Camescasse va encore nous attraper.

— Modérez-vous, Ferry, fit M. Renan, nous prendrons notre revanche.

A ce moment, un sifflement aigu se fit entendre. Zola venait de lancer sa navaja, et M. Renan, atteint en pleine poitrine, s'écroula sur le sol, blasphémant le nom de Jésus, crachant le sang à pleine gorge.

Les deux agents, Ferry et Bloy, s'élancèrent.

Alors, Zola, bondissant comme le tigre des jungles, par-dessus leur tête, disparut dans la nuit.

Le suivre était inutile.

— Où transporter nos pauvres amis? dit Bloy.

— Attends, répondit Jules Ferry. J'ai une vieille camarade à moi au fond de l'impasse des Sans-Dents, Mme de Pontmartin, ils auront des soins dévoués.

— Ce vieux bas-bleu qui tient une maison de tolérance?

— Juste, Auguste! Allons, aidez-moi! Edmond!

Se baissant pour charger leurs fardeaux humains, les deux agents poussèrent un cri d'indicible surprise.

Les cadavres avaient disparu!

Chapitre II
Les Pas du Châtiment retentissent dans le mur du Remords.

Dans une étroite mansarde, sur un vieux tabouret dépaillé, un homme songe, profondément.

Un homme à figure sinistre;

Cet homme, nos lecteurs l'ont deviné, c'était lui! Toujours lui! Le chef redouté des Masques sanglants.

Sa main droite, tient une navaja encore fumante.

Sa main gauche se crispe sur la crosse d'un revolver couvert d'un sang noir.

Quels crimes nouveaux le monstre vient-il de commettre?

— Enfin! gronde-t-il, je les tiens écumants sous mon talon de fer! Les têtes coupées ne parlent plus, a dit saint Denis, je n'ai donc rien à craindre! Le Champ-de-Navets garde les secrets de la guillotine!

Soudain, le bandit tressaille sur son siège.

— Qui est-là? hurla-t-il, en regardant le mur.

Un silence de mort répond seul à son interrogation.

Une pendule misérable, dont le balancier chante dans un coin du taudis, sonne tout à coup minuit.

Le monstre sent ses cheveux se hérisser sur sa tête.

D'une voix rauque, il dit :

— J'entends des pas dans ce mur! Est-ce toi, Alexis?

Une voix répond :

— Non!

— Mais alors, qui donc es-tu? Parles!

— Je suis le guillotiné du 11 décembre! Je suis l'inconnu du Père-Lachaise, je suis celui que tu crois mort!

— Que me veux-tu, vain spectre!

— Écoute, si tu as du courage, viens ce soir au cabaret du Chat Noir, près de l'Élysée; tu trouveras à la porte un homme masqué, tu le suivras sans rien dire, tu sauras tout.

— Je le saurai bien sans cela, misérable!

Empoignant une hache, le chef des Masques sanglants, se précipita sur la muraille mystérieuse.

Les coups sourds de la hache retentirent dans le grand silence.

Mais, dans le mur, une autre voix dit :

— Arrête! Bandit!

— Oh! Cette voix!!! Cette voix!!!

(La suite au prochain numéro.)



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