Émile Bouvier dans La Bataille réaliste (Fontemoing & Cie, 1913), livre dans lequel il présente Champfleury, nous parle de l'école fantaisiste, qu'il décrit comme la génération charnière entre le Romantisme et le Réalisme. Comme je ne saurais faire mieux que lui, je cite in extenso ce long extrait de la première partie: Champfleury et la Bohème (1844-1848), chapitre deux: Les Scènes de la Bohème (pages 79 à 82). En résumé, les premières nouvelles de Champfleury, tout en s'inspirant de la tradition romantique, marquent les débuts d'une tendance nouvelle qui se manifestera nettement quelques années plus tard et qui constituera un des traits principaux de ce que les contemporains nommèrent « l'École de la fantaisie ». Elles annoncent et préparent les Scènes de la vie de bohème. On sait toute la vogue qu'eurent, après 1848, les peintures de ce monde spécial. Mürger se fit du jour au lendemain la réputation d'un romancier de premier ordre avec ses Scènes de la vie de jeunesse, ses Buveurs d'eau et son Pays latin: son succès date de la représentation, en 1849, des Scènes de la bohème, arrangées en vaudeville par Barrière1 et jouées aux Variétés. On sait toute l'influence qu'il exerça sur la littérature et même sur la musique. Ce qu'on sait moins, c'est que ce succès fut préparé entre 1845 et 1848 par toute une génération dont le Corsaire Satan fut le journal favori. C'est S. de Gosse2, avec ses articles humoristiques sur les cours de la Sorbonne et du Muséum; Fauchery3, avec ses histoires d'atelier plus extravagantes et plus techniques encore que celles de Champfleury; Ch. Toubin4, avec La Bohème littéraire d'autrefois; Paul Verner,5 Arthur de Langeron, Henri Nicolle6. « Ennemi des vers, anti-poète par système autant que par tempérament, Jules Fleury lutta dès lors contre les tendances à l'hémistiche de son nouvel ami et en triompha, en partie du moins. »8 Si l'on considère combien son caractère et sa vie antérieure prédisposaient Champfleury à entreprendre cette apologie de la vie de bohème doublée d'une satire de la bourgeoisie; si l'on remarque que ses articles du Corsaire précèdent les essais qui seront tentés dans la même voie, on conclura qu'il est peut-être le créateur du genre. Pour l'affirmer avec certitude, il faudrait avoir dépouillé toute la collection des petits journaux entre 1838 et 1843: le Corsaire, le Satan, le Tam-Tam, la Silhouette, etc., etc., et nous n'avons pu y songer. Constatons seulement qu'il est au moins l'un des promoteurs de ce mouvement littéraire et qu'il a certainement précédé et guidé Mürger. Il reviendra plus tard aux Scènes de la bohème, lorsque le genre sera à la mode; il publiera en 1849 ses Confessions de Sylvius; il écrira en 1851 les Aventures de Mariette et dans les Souvenirs des Funambules résonnera encore l'écho des chansons du quartier Latin. Mais dès 1846, il abandonne ce genre qu'il juge déjà trop facile et il prélude à ce qui fera sa vraie originalité: le réalisme. C'est là que nous allons le suivre.
1 - Théodore Barrière (1821-1877), auteur dramatique, qui en 1849 mit La Vie de bohème sur scène avec Henry Murger. |
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