Bredouille

Deuxième épisode




BREDOUILLE
I



Quand ils se relevèrent, Marguerite Glabre regarda Gourdet. Un embêtement leur vint. Ils ne savaient pas pourquoi il s'étaient laissés aller à cette lâcheté. Lui, très veule, ne trouvait pas un mot à dire, puis sortait, ayant besoin de respirer.

Aucune sollennité ne montait de l'escalier, on sentait même des odeurs de latrines que madame Bourde négligeait. Oscar ouvrit une fenêtre de l'escalier, des bonnes hurlaient par les ouverture béantes des cuisines. Des moiteurs faisandées dormaient dans des buées, des brouillards putrides dansaient sur l'ordure des boîtes, des pourritures se jouaient avec des relents, des graillons tutoyaient des détritus, des trognons se vautraient sur des épluchures.

Des engueulements étaient lâchés à toute volée sur le dos des maîtres, des patrons. De la saleté tous! De la canaille! Des dames qui allaient au marché et qui achetaient du veau avancé chez le boucher, dans une rage d'économie.

Alors Zoé, la bonne de madame Chambardon, disait que tout cela c'était des dégoûtations, que les maîtres ne valaient cetainement pas les domestiques et que madame Chambardon était une traînée, une vulgaire traînée.

Gourdet ferma brusquement. Il avait assez respiré l'infection cloaqueuse d'égoût qui bouillonnait en fermentant.

Alors il rentra dans sa chambre, se fourra au pieu et roupilla en cuvant, ayant pinté ferme chez l'architecte. Le lendemain, il se réveillait avec une gueule de bois, dans un chlinguement furieux d'ivrogne. Il se rinça fortement la boîte avec de l'eau du docteur Pierre (1) une eau très chouette qui lui ôta ses aigreurs. Alors il se bâcha tout en neuf, très pimpant, dans une mise prétentieuse de calicot de Plassans qui veut épater le madapolam de la place. Il sortit de chez lui et se cavala sur la pointe des ripatons pour ne pas réveiller Marguerite Glabre. Il en avait assez d'une fois!

Sur le palier du second, une dame sortait, tirant sur elle la porte d'acajou de l'appartement. Alors dans l'athmosphère chaude, l'étouffement du calorifère, l'épaissur des tapis, il se sentait pris d'un besoin bête. Des idées pas propres lui venaient. Alors il s'avançait, souriait et disait:

- Je suis Oscar Gourdet de Plassans, pour vous servir, ancien chef de rayon du Bonheur des dames.

- Je n'ai pas l'honneur de vous connaître, Monsieur. Vous ne m'avez jamais été présenté.

- Mais je demeure ici dans la maison, je suis l'ami de M. Chambardon, vous savez bien, l'architecte.

- Ah! si vous êtes l'ami de M. Chambardon, c'est autre chose, j'aime beaucoup M. Chambardon. Je voudrais bien que Duroussy fût comme lui...

- M. Duroussy?

- C'est mon mari, Monsieur.

- Pardon, Madame, mais j'ignorais...

- Vous êtes tout pardonné, monsieur; voulez-vous entrer au salon, une minute, rien qu'une minute.

Lui, souriant, s'inclinait dans une courbette de commis de nouveautés qui a servi une bonne cliente. Alors il entrait tous deux.

Le salon était très toc. Un ennui morne pendait aux murs couverts de mauvaises gravures où une sentimentalité bourgeoise mettait une poésie idiote. Un volune de Zola traînait sur le guéridon. Le bouquin très avachi avait des taches poisseuses.

Madame Duroussy se coula sur la chaise longue dans un mouvement serpentin qui répendait une grâce féline sur ses rondeurs. Ses jupes très étroites plaquaient; une balayeuse blanche dépassait; son corsage moulait ses formes; des frisons roux étaient doucement agités sur son front.

Ils causaient de bagatelles, des voisins, de Paris, sans but, au hasard, n'écoutant pas leurs paroles. Ils pensaient à autre chose. Alors Oscar comprit par les regards de madame Duroussy qu'elle avait des idées comme les siennes.

Il s'approcha du canapé, la prit doucement par la taille. Elle ne résistait pas, il colla ses lèvres sur les siennes... Elle se donna.

Gourdet étonné lui disait:

- Vous m'aimez donc bien!

Elle, très ironique, répondait:

- Non, mon cher, mais nous sommes tous comme ça dans la bourgeoisie.

J... K... Paul Henry

(1) Réclame payée





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