Bredouille

Premier épisode




BREDOUILLE
I



Oscar Gourdet était arrivé à Paris. Il s'était fourré dans un fiacre sale, on avait hissé ses trois malles dessus, puis il avait donné l'adresse: 198, rue de Choiseul. Alors dans les cahotements de guimbarde, des gémissement de sapin souillé par les dégobinages d'homme ivres, des frissonnements de carreaux tombés dans les portières, Oscar Gourdet voyait la ville, les maisons, les hommes, les femmes qui, sous leurs dessous blancs, écartaient des jambes lubriques, avec des idées de vieilles dames dans l'ombre érotique des confessionnaux.

La voiture s'arrêta. Gourdet descendit. Il demande au concierge, qui était en acajou et qui s'appelait M. Bourde, l'étage de M. Chambardon. L'autre lui répondit avec un ricanement majestueux de subalterne qui sait les cochonneries de ses supérieurs, que M. Chambardon demeurait au 3o. Gourdet monta l'escalier qui était de même bois que le concierge. En route il rencontra un Monsieur, un locataire du huitième, qui connaissait toute la maison, disait que c'était du monde chouette, rupin, pas à la coule, des bourgeois quoi! Tous étaient très honnêtes, mariés, pères de famille, faisant des enfants à leurs dames le moins souvent possible pour ne pas les déformer. Les gosses n'étaient pas toujours d'eux, Leurs dames n'aimaient pas faire ça, mais elles le faisaient tout de même, après avoir lu George Sand. Alors dans les vélléités de lubricité fangeuse, elles couchaient avec des garçons bouchers, des vendeurs de contre-marques, des forts de la halle qui leur fabriquaient des mômes carrés des reins et canaille des abatis.

M. Chambardon, quand Oscar fut introduit dans le salon, tutoyait agréablement sa dame. Il se leva, tendit la main au jeune homme et lui pinça la fesse gauche dans une rage d'intimité de gros brun.

Oscar était fatigué de son voyage, il se sentait vache, très vache, avec des relents sous les aisselles. Mais madame Chambardon le regarda avec des petits yeux battus comme par des coups de trique, très culottés, américains. Ça le ranima, il relava la tête, refit son noued de cravate. Le mouvement plu à madame Chambardon. Il s'assit à côté d'elle et lui causa de très près. Chambardon voyait des ecclésiastiques, et ça lui était bien égal de laisser peloter sa femme. La bonne, une fille qui avait les tretons en pointe, annonça que le diner était servi. Toute la cuisine était poivrée, parce que madame Chambardon voulait donner des idées à son petit homme qui n'en avait pas. Alors, dans la symétrie des plats, la rectitude des viandes, le dévergondage des hors-d'oeuvre, le rutilement des cuivres, l'éblouissement des cristaux, la blancheur molle des draps de fils de la nappe, la sensualité des fourchettes déchiquetant les chairs de poulet, madame Chambardon, allumée par ses besoins, mettait une jambe avec des rondeurs sur celle d'Oscar Gourdet. Le jeune homme se disait à ce contact qui brûlait sa peau de provincial vicieux d'une chaleur de bourgeoise corrompue: N... d... D... toutes les femmes de Paris sont p...!

Puis quand toutes les lèvres avaient eté empuantées par des odeurs fauves de Roquefort où se prélassait le mouvement rouge des asticots, quand les miasmes avaient été chassés par les parfums roux d'un café où une parcimonie de classe dirigeantes insérait des matières quelconque, les deux hommes, très pochards, les sens fortement travaillés, quittaient la salle à manger et laissaient Mme Chambardon, seule dans ses réflexions de blonde et l'attente d'un ancien zouave qui avait été vicaire à Plassans.

Alors, ils passaient, dans la débandade et la saoûlerie qui accompagnent les repas de famille, dans le cabinet de travail de Chambardon.

L'architecte avait pour maîtresse la grande Octavie qui était première à la Perversité des hommes, un magasin où on vendait des gants et où l'on rendait la monnaie dans un sous-sol où des parfums de cuisine se mêlaient à des effluves de corset extravasés.

Gourdet s'épatait dans une admiration idiote et Chambardon lui expliquait avec des mots crus que toutes les femmes de la maison étaient hystériques. L'architecte, après s'être abruti dans la fumure de pipes noircies, se cavalait pour aller voir sa taupe et Gourdet remontait chez lui dans un débraillement d'homme excité.

Il se rappelait que Chambardon lui avait donné des renseignements sur sa voisine, la petite Marguerite Glabre, la femme d'un employé goîtreux du ministère, qui était tout le temps malade, fatiguée par des couches imparfaites et les impuissances de son mari. Il prenait à la cuisine des queues de radis qu'il laissait traîner sur une assiette poissée et, dans la bibliothèque de l'architecte, un volume de George Sand relié en veau avec des reflets crasseux.

Arrivé à la porte de Mme Glabre, il frappait.

Elle venait lui ouvrir en camisole, la chemise très chiffonnée, des ardeurs rouges dans les yeux.

Lui très gêné, lui disait:

- Je ne vous connais pas, j'arrive de Plassans, mais je me sens un fichu béguin pour vous.

Elle, toute chatouillée, répondait:

- Ça ne fait rien. Ce n'est pas long de se connaître. Mon mari pionce. Vous pouvez entrer.

Il mettait ses radis et l'assiette sur la table en face du volume de George Sand.

Marguerite Glabre, toujours très rouge, s'en fichant pas mal, s'asseyait sur la table avec un renversement en arrière...

J... K... Paul Henry

(La Suite au prochain numéro.)





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