À mi-côte

Nuit de Paris
A Jean Richepin

Le ciel des nuits d'été fait à Paris dormant
Un dais de velours bleu piqué de blanches nues,
Et les aspects nouveaux des ruelles connues
Flottent dans un magique et pâle enchantement.

L'angle, plus effilé, des noires avenues
Invite le regard, lointain vague et charmant.
Les derniers Philistins, qui marchent pesamment,
Ont fait trêve aux éclats de leur voix saugrenues.

Les yeux d'or de la Nuit, par eux effarouchés,
Brillent mieux, à présent que les voilà couchés...
- C'est l'heure unique et douce où vaguent, de fortune,

Glissant d'un pas léger sur le pavé chanceux,
Les poètes, les fous, les buveurs, - et tous ceux
Dont le cerveau, fêlé, loge un rayon de lune.



Sigisbéisme
A Germain Nouveau

Dilettante des riens exquis de la toilette,
Je vais partout où vont les petits pieds fringants;
Mon oeil mesure, sous l'étroitesse des gants,
La main, la belle main qu'on baise et qui soufflette.

Je bois la fine odeur d'ambre ou de violette
Des traînes de velours aux grands plis arrogants.
Je suis le page des ports de tête élégants
Et l'esclave des yeux luisant sous la voilette.

Féminine harmonie aux plastiques accords,
Je regarde onduler les paresses du corps:
Et dans le parc, les soirs d'été, sur la terrasse,

Aux gestes, aux rougeurs, aux sourires charmants,
Je fais tout bas de longs aveux et des serments,
Étant un des fervents amoureux de la grâce.



L'Oubli
A Alphonse Daudet

S'il faut, pour boire un jour au bienheureux calice
Promis par Christ à ceux qu'il reconnaîtra siens,
Que rien ne reste en nous des soucis anciens,
Et que du seul amour divin l'âme s'emplisse;

Si d'égoïsme, ô cieux! est fait votre délice,
Tandis que les damnés en d'amers entretiens
Se rappelleront, eux, nos terrestres liens,
Et par nous souffriront leur plus affreux supplice;

Plutôt que de sentir m'échapper à jamais
Le regret douloureux des yeux clos que j'aimais,
Dont je dispute au temps la lumière affaiblie.

Plutôt que de céder mes larmes, ce trésor.
Mon amour révolté préfèrerait encor
L'enfer, qui se souvient, au ciel où l'on oublie!



Léon Valade
À mi-côte
1873




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