Ruminations

Dans cette collection de courts textes sous-titrée Prose d'un solitaire, Rollinat nous fait partager ses pensées philosophiques. Écrites dans ses dernières années, il y déploie une vision pessimiste de la vie enrobée dans un style littéraire d'époque évoquant un peu la prose poétique.

Même, en exagérant avec le plus farouche pessimisme de l'orgueil, de l'indépendance, de la maladie et de la rancune, tout le mal qu'innocemment ou volontairement elle peut faire à l'homme, c'est encore de la femme que lui viennent ses plus enivrantes consolations, son plus de goût et d'illusionnement de la vie. Cela est si vrai que, sans elle, il est perdu dans le redoutable ennui de lui-même, comme une épave dans le désert des flots.

Il a beau dire et beau faire : dans sa solitude, l'évoquant, la convoitant, soupirant après elle, toujours et quand même, il n'est jamais si près de la revouloir que lorsqu'il la repousse de sa pensée, jamais tant sur le point de la rebénir, de la réadorer, que lorsqu'il la maudit de toute son âme!

N'est-elle pas le tout-puissant régulateur de son être? le souverain balancier du besoin physique et moral, de l'excitant et du tranquillisant nécessaires, du rêve et du pratique, du charme et de l'utile, qui lui maintient la sûreté de son équilibre dans la société comme dans la nature?

On n'est jamais misogyne qu'en idée, philosophiquement, par genre ou par système; mais, en subordonnant toujours son horreur de la femme aux soudaines irruptions de la tendresse du coeur et de la sensualité du désir.

Et vraiment! lui devant déjà tant de gratitude, il nous faudrait la remercier encore du plus ou moins de contrariant de ses faits et gestes à notre égard, puisque c'est justement ainsi que nous apprenons à supporter les épreuves, à cultiver la patience, cette vertu des vertues! qui, en nous rendant plus maîtres de nous-mêmes, nous fait plus forts et mieux armés dans la vie, où, en somme, la vrai sagesse consiste à savoir profiter du meilleur en se résignat d'avance à tout ce qui peut nous arriver de pire.

Maurice Rollinat
Ruminations
1904



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