|
Toi, dont les longs doigts blancs de statue amoureuse,
Agile sous le poids des somptueux anneaux
Tirent la voix qui berce et le sanglot qui creuse
Des entrailles d'acier de tes grands pianos,
Toi, le coeur inspiré qui veut que l'Harmonie
Soit une mer où vogue un chant mélodieux,
Toi qui, dans la musique, à force de génie,
Fais chanter les retours et gémir les adieux,
Joue encore une fois ces deux marches funèbres
Que laissent Beethoven et Chopin, ces grands morts,
Pour les agonisants, pèlerins des ténèbres,
Qui s'en vont au cercueil, graves et sans remords.
Plaque nerveusement sur les touches d'ivoire
Ces effrayants accords, glas de l'humanité,
Où la vie en mourant exhale un chant de gloire
Vers l'azur idéal de l'immortalité.
Et tu seras bénie, et ce soir dans ta chambre
Où tant de frais parfums vocalisent en choeur,
Poète agenouillé sous tes prunelles d'ambre,
Je baiserai tes doigts qui font pleurer mon coeur!
Maurice Rollinat Les Névroses 1883 |
|