Le terrible brigand Bulla, trahi par sa maîtresse, est condamné à être dévoré par les fauves dans l'arène. ...Il faut croire qu'il avait un coeur tendre, en dépit des apparences; et cela est resté un de mes étonnements, qu'il ait pu l'avoir si tendre, avec son corps trapu, velu, au col de taureau, aux bras de singe, aux jambes torses de dogue, avec ses poings monstrueux, avec son farouche visage casqué d'une noire chevelure hirsute, barbu jusqu'aux yeux, et surtout avec ses yeux de bête fauve, ses yeux à la fois très pâles et injectés de sang, et dont le regard insoutenable évoquait l'idée d'un éclair blanc dans des nuages rouges. ... Quoique les victimes fussent peu nombreuses, et peu intéressantes à cause des chrétiens, le spectacle promettait d'être beau quand même, grâce à la présence des trois larrons, hommes déterminés, et surtout grâce à celle de Bulla, aussi féroce que les fauves qui allaient le dévorer. Ces fauves, d'ailleurs, étaient annoncés comme de formidables et énormes lions de Libye, de ceux à crinière noire, qui passent pour les plus sanguinaires de tous. Ils étaient cinq seulement, mais on les avait gardés à jeun depuis deux jours; et d'avance, pendant qu'ils étaient encore captifs dans leurs caves, on entendait rugir leur terrible faim qui remplissait l'amphithéâtre d'un roulant, continu et majestueux tonnerre. Aussitôt que parurent les lions, les onze chrétiens se jetèrent lâchement à genoux, feignant de prier leur Dieu, mais essayant, en réalité, de fléchir par leur vile attitude de suppliants, leurs bourreaux aux gueules menaçantes. Et, comme la lâcheté est contagieuse, les trois larrons, soudains amollis, en firent autant. Mais Bulla, les yeux flamboyants de colère, l'écume aux lèvres, les poings brandis, se précipita furieux parmi ce troupeau tremblant et se mit à étrangler quelques-uns de ces misérables, comme s'il voulait ravir aux lions leur proie. Puis, tandis que les fauves bondissaient sur les autres condamnés, il se rua vers une chrétienne, jeune fille d'une beauté merveilleuse, la coucha dans l'arène et entreprit de la violer. Tout l'amphithéâtre fut debout, acclamant le courage inouï de ce héros qui, en un pareil moment, pouvait songer aux choses de l'amour. Et les lions eux-mêmes en demeurèrent stupéfaits, miraculeusement domptés par la puissance de Vénus. Etc. Jean Richepin |
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