Miarka, la fille à l'Ourse

Une vieille bohémienne appelée la Vougne est arrivée au village de Ohis, en Thiérache, avec son fils mort et la femme de celui-ci qui meurt en donnant naissance à Miarka. Les deux survivantes, avec leur ourse apprivoisée, s'installent chez le maire du village, M. Cattion-Bourdille, mais madame Octavie, sa gouvernante, n'est pas contente.

...

— Tout cela est fort bien, disait-il, fort bien, monsieur le maire; mais enfin, pour faire de la besogne en règle, encore faut-il les éléments nécessaires, des documents, des papiers. Où est l'acte de mariage des défunts? Sous quels noms dois-je inscrire l'enfant?
— Oui, répétait madame Octavie, sous quels noms? Une fille qui tette une ourse!
— Elle s'appelle Miarka, répondit le maire.
— Miarka! Miarka! reprit la gouvernante. Ce n'est pas un nom, ça, Miarka! Voyons, vous, monsieur le curé, est-ce que vous connaissez sainte Miarka? Non, n'est-ce pas? Alors!... Miarka! ce n'est pas un nom de chrétienne.
— Eh! interrompit le maire, qui vous dit aussi que la petite soit chrétienne?
— Mais elle le sera, monsieur. Il faut qu'elle le soit! Monsieur le curé va la baptiser, j'espère bien.

L'abbé Ternaille s'interposa, disant que cela était son affaire, en effet, et que certainement il ne faillirait pas à son devoir, mais qu'avant tout on devait le mettre au courant. Il ne savait les choses que par ouï-dire et il venait précisément aux informations. Qu'est-ce que cela signifiait, cette enfant nourrie par une ourse? Voyons un peu, voyons!

...

— Voilà vraiment de la besogne bien faite, bougonna madame Octavie. Et vous, monsieur le curé, allez-vous faire la vôtre aussi, comme ça, à la diable?
— La mienne? Quelle donc?
— Mais, baptiser l'enfant!
— Oh! nous avons le temps. Est-ce que les parents l'ont demandé?
— Quels parents? Il ne reste que la grand'mère.
— Eh bien! la grand'mère l'a-t-elle demandé?
— Elle, la Vougne, une païenne, demander qu'on baptise sa petite-fille! Mais c'est malgré elle qu'il faut faire le baptême.
— Ce sera donc un autre curé qui le fera, madame Octavie. Moi, je ne pratique point ces coups d'État sur les consciences. Je suis un pasteur d'âmes, un pasteur seulement et non un chasseur, madame Octavie.

La gouvernante se mordit la lèvre. Puis, retrouvant brèche à la discussion sur un autre point, elle reprit :

— Alors, pour les deux enterrements, vous ne vous en mêlerez pas non plus, si vous êtes logique. Pasteur, vous fermerez aux intrus la bergerie, c'est-à-dire le cimetière. J'y compte bien, d'ailleurs, car je ne tiens pas à être un jour enterrée à côté de mécréants, morts comme des chiens.
— J'agirai, répondit l'abbé Ternaille, selon les désirs de la Vougne. Mais, quoi que ce soit qu'elle décide, je donnerai aux siens une place dans la terre sainte et je dirai une messe à leur intention. Car les âme de ceux-là, maintenant, sont à Dieu et il ne m'appartient pas de les juger. Je n'ai que le droit d'intercéder en leur faveur et j'userai de ce droit, madame Octavie.
— Ternaille, lui dit le maire en lui serrant la main, tu es un brave homme.

Jean Richepin
Miarka, la fille à l'Ourse
1883



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