Le jeune Flamboche est en vacances en Bretagne. On en était loin, en effet, dans ce coin perdu et sauvage, presque désert. Car le village ne comptait en tout que trente foyers et une centaine d'âmes. Et encore ces âmes étaient-elles bien désignées par ce vocable. Des êtres à peine visibles, quasiment irréels, tant leur existence était silencieuse. Des vieux et des vieilles, pour la plupart, les gas étant en mer, qui au service, qui à Terre-Neuve, qui faisant parti d'un équipage de pêche ou de plaisance dans quelque port voisin. Avec ces vieux et ces vieilles, des filles en attente d'un promis, des veuves à la coeffe noire, et de la marmaille bretonne, peu bruyante, aux lèvres serrées, aux yeux déjà tristes. Et tous, non seulement les anciens et les veuves, mais jusqu'à ces goussepains, jusqu'aux jeunesses rêvant des noces prochaines, tous avec cet air réservé, ces allures pensives qu'ils ont là-bas, cet air de clercs, de clergeons, de nonnes, ces allures d'ombres sous un cloître. Par les grèves, de rares et furtives apparitions, vite évanouies derrière un tournant de roc, ou se fondant au creux d'un herbier. C'est un chercheur de poinclos, une chasseuse de crevettes, une paire de gamins soulevant un gros galet pour dénicher de son trou un congre. Et la mer basse, d'ailleurs, se retire si loin, qu'il faut fixer longtemps le regard sur l'endroit où sont ces points mobiles, pour les distinguer. Et les rochers du bord enchevêtrent leurs couloirs en un si colossal labyrinthe, que les hommes y grouillant y semblent des poux de sable. Et ainsi ces quelques apparitions de vivants, au lieu que leur présence trouble la solitude, en rendent plus sensible la vaste majesté, où l'homme devient si peu de chose. Etc... Jean Richepin |
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