Les Caresses

Thermidor VI

Puisqu'à mon fauve amour tu voulus te soumettre,
Il faudra désormais le nourrir comme un maître;
Et tu sais qu'il est plein d'appétits exigeants.
Un féroce mangeur! Il n'est pas de ces gens
Qu'un morceau de pain sec rassasie et contente.
Ce qu'il demande, lui, c'est ta chair palpitante
C'est ton corps tout entier, c'est ton être absolu;
Et tout le nécessaire et tout le superflu
Seront à peine assez pour notre convoitise.
Madame, il faut nourrir le feu, quand on l'attise.



Thermidor VII

Pourquoi donc t'habiller si matin, ma chérie?
Pourquoi me dérober si tôt ta chair fleurie?
Non, ne mets pas encore tes seins au cachot noir
De ton corsage; garde un peu ce long peignoir
Qui moule ton beau corps tout nu sous la dentelle,
Et dont la manche large a comme un frisson d'aile.
Nous irons au jardin boire un coup de printemps,
Mouiller dans les gazons ta traîne aux plis flottants,
Voir les fruits que je mords et les fleurs que tu cueilles,
Nous rafraîchir les yeux dans les yeux vert des feuilles,
Et respirer l'aurore ainsi que deux oiseaux.
Viens, tes frisons de soie, en dépit des réseaux,
S'envoleront au souffle amoureux de la brise;
Tu verras au travers, dans l'aube qui s'irise,
Blonds et fins, les crêpons d'un nuage vermeil,
Et tes cheveux seront avec ceux du soleil.

Jean Richepin
Les Caresses
1877





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