Paris anecdote

La Childebert

Privat d'Anglemont fait la chronique de La Childebert, une colonie d'artistes et d'écrivains de la rive gauche. Il la décrit comme une bicoque, une masure de la rue du même nom, qui venait d'être détruite pour faire place à une des nouvelles rues du Baron Haussmann. Ses racines vont au moins jusqu'au dix-huitième siècle. Dans cet extrait, Privat nous décrit les affectations artistiques de ses occupants. Après une période moyen âge abricot, une période grecque à la Byron, une seconde période médiévale inspirée par Walter Scott, après avoir mentionné des Turcs inspirés de Hugo et des Espagnols, il nous amène aux Bousingots et aux Jeune-France.

La révolution de Juillet arriva au milieu des grandes disputes des classiques et des romantiques. Elle vint faire diversion à cette nouvelle querelle des anciens et des modernes. Les habitants de la Childebert se divisèrent en Bousingots et en Jeune-France.

Les premiers adoptèrent l'habit de conventionnel, le gilet à la Marat et les cheveux à la Robespierre; ils s'armèrent de gourdins énormes, se coiffèrent de chapeaux de cuir bouilli ou de feutre rouge, et portèrent l'oeillet rouge à la boutonnière.

Les seconds conservèrent leurs pourpoints, leurs barbes fourchues, leurs cheveux buissonneux.

Les Bousingots et les Jeune-France n'avaient de commun que leur haine du bourgeois, qu'ils appelèrent génériquement épicier. La société ne se divisa plus, à leurs yeux, qu'en bourgeois et en artistes, les épiciers et les hommes. L'antagonisme était flagrant, et Bousingots et Jeune-France passèrent le jour à inventer des épithètes désagréables à l'adresse de leur commun adversaire, et la nuit à imaginer des tours qui troublassent leur sommeil.

Cette métamorphose ne devait pas être la dernière, et Jeune-France et Bousingots procédèrent bientôt à leur vingtième incarnation.

Privat ajoute ensuite que les Jeune-France se transformèrent en blasés, en rêveurs, en poitrinaires, alors que les Bousingots se firent viveurs, matérialistes et qu'ils prirent le nom de Badouillards. Il ajoute plus loin:

Cela dura jusqu'en 1838, époque où l'école fantaisiste absorba Jeune-France et Badouillards. La haine seule du bourgeois survécut à cette dernière transformation.

Il ne fait ici évidemment pas référence à l'École fantaisiste de Francis Carco, mais bien à celle de Murger et Champfleury, avant qu'ils ne deviennent réalistes.


Alexandre Privat d'Anglemont
Paris anecdote
1854



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