Le Prado

IV

Privat d'Anglemont nous parle dans ce livre du bal du Prado. Il se plait à mêler à sa description des souvenirs de sa jeunesse passée au Quartier-Latin et quelques commentaires sur les temps modernes. Cet extrait fait suite à sa critique de l'attitude des autorités face au cancan - invention purement nationale - alors "qu'on walse, qu'on polke, qu'on galoppe partout" impunément.

...N'avons-nous pas proclamé tout ce qui vient de l'étranger supérieur à tout ce que notre génie national peut inventer.

D'ailleurs, qui diable invente? des gens qui meurent de faim, quelques jeunes gens qui n'ont ni feu ni lieu, de gens du peuple, la belle race par ma foi! - Et puis un fils de famille, un beau du beau monde peut-il décemment, sans compromettre sa réputation, se permettre d'avoir une idée. Allons donc! il passerait pour quelque chose, ce qui est déshonorant. Aimez-vous le succès? traduisez Schiller, Goethe, Schlegel, importer la polka, le steeple cheese, les cols anglais ou les pantalons sans sous-pied, vous en aurez; mais ayez le génie d'Hugo, l'esprit de Janin, la verve de Méry, l'originalité de Félix Pyat, la grâce et l'adresse de tous les Français qui savent danser et monter à cheval pour faire une course au clocher, - vous serez perdu, on ne vous regardera seulement pas, ou bien on vous critiquera, et l'on tâchera de vous démolir.

Nous crevons d'envie aussitôt qu'un de nous réussit, et le plus grand malheur qui puisse arriver en France à une invention, à une idée, c'est d'avoir pour patron un nom français que tout le monde peut prononcer sans faire la grimace, sans chanter, sans siffler ou sans éternuer.

Etc.

Alexandre Privat d'Anglemont
Le Prado
1845



Retour à Alexandre Privat d'Anglemont
Vers la page d'accueil