La Résurrection de Lazare

Septième lettre

Murger a fait ici, "en collaboration avec M. Antoine Fauchery" 1, un "drame par lettres", qui me semble un de ses premiers efforts pour se défaire de son étiquette de "fantaisiste" et qu'on le prenne au sérieux dans le monde littéraire.

Voyons ce que le vicomte Séraphin a à dire au comte Antony de Sylvers au sujet de l'arrestation de Lazare pour le meurtre de Louisa qui n'est pas morte.

Jusqu'à présent, mon cher comte, Lazare ne me paraît pas dans une mauvaise position. Le voilà dans l'attitude fort enviable d'un criminel intéressant. Malheureusement l'affaire n'est pas sérieuse, ce qui ôte à notre ami beaucoup de son prestige.

Je ne puis que lui présager un acquittement honorable. Franchement, s'il y avait eu contre lui quelque charge accablante, j'aurais demandé à prendre sa place.

Je parle sérieusement. En dépit des statisticiens, les crimes sont rares; c'est du fruit défendu. Au bois, à l'Opéra, au café Foy, à Chantilly, nos gants jaunes, nos chevaux, nos binocles et nos sticks garnis d'ivoire séduisent tout au plus quelques Madeleines sans or ou quelques danseuses sans lords. Mais un grand criminel a toutes les femmes pour lui et surtout les femmes honnêtes. Je ne demanderais qu'une simple condamnation à dix ans pour faire un mariage superbe, et le lendemain j'écrirais un poëme épique, sûr de le vendre un louis le vers et de trouver des lecteurs. Pourquoi a-t-on lu la Henriade? Parce que Voltaire sortait de la Bastille.

Je vous vois rire d'ici. Et pourquoi pas? un poëme épique est-il plus compliqué qu'un drame? et ne montons-nous pas dans les départements de Seine-et-Oise une tragi-comédie infiniment plus intriguée que les vaudevilles de Scribe? Il n'appartenait qu'à des gens aussi civilisés que nous, d'arriver à combiner froidement une action dont nous sommes à la fois les machinistes et les metteurs en scène, et où nous jetons nos passions personnelles et nos sentiments les plus réels dans le moule où les dramaturges vulgaires ne mettent que des éléments ridicules ou de plates exagérations. Et quelle fantaisie étincelante pourrait égaler l'imprévu de certaines situations secrètes que nous devons ignorer jusqu'au dénoûment, sous peine d'être obligés de nous siffler nous mêmes?

Etc...

Henry Murger
La Résurrection de Lazare
1856

1 - Antoine Fauchery (1823-1861), écrivain, voyageur et photographe



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