Avril, Mai, Juin


XV
À M. Leconte de Lisle*

Las du choeur énervé des modernes guitares,
Des rythmes langoureux sur papier satiné,
Et des Muses de joie au chant efféminé,
Le poète écoeuré remonte aux temps barbares.

Sa dédaigneuse main presse le cuir tanné
Des chefs aux longs cheveux, muscles durs, moeurs bizarres.
Sa voix mâle s'essaye aux sauvages fanfares,
Qui sous les sombres bois de Gaule ont résonné.

Il entonne le chant des moines fanatiques
Dont le rêve a percé les voûtes de l'enfer,
Et qui sentent leur poil se dresser sur la chair;

Ou, dans la fauve horreur des flores exotiques,
Parmi les jaguars prompts qui rôdent à pas lents
Va s'enivrer, la nuit, de parfums violents.

* Poésies barbares, 1862.



XVI

Si tu le voulais, nous ferions, ma chère,
Un joli tissu de jours radieux,
Et j'habillerais ma Muse légère
Avec les rubans qui te vont le mieux.

Tu me garderais, pour moi seul, tes yeux,
Tes bras, - ton mauvais petit caractère,
Afin de me faire un retour joyeux
Lorsque je reviens de mon ministère.

Nous irions au bois (les jours de gala).
A tous mes amis je dirais : « Voilà! »
Et je marcherais le poing sur la hanche.

Mais l'amour, hélas! est un monstre ailé,
Qui met son bonheur à changer de branche.
On croit le tenir : il est envolé.



XXVII

Elle avait quand elle arriva
Ce qui se perd, ce qui s'en va
Au parfum des odeurs coûteuses,
Au vent des valses capiteuses.

Sur sa joue honnête elle avait
Ce velours rosé, ce duvet
Des pêches encor sur la branche,
Et son âme était toute blanche.

Elle avait un petit fichu,
Qui n'avait pas encore chu
Au-dessous de la gorge ronde.

Elle était suavement blonde;
Son oeil était limpide et doux...
Elle est morte! - La voyez-vous?



Albert Mérat et Léon Valade
Avril, Mai, Juin
1863



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