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À François Coppée
Sous la neige d'hiver ou le ciel attiédi,
La dévote mondaine arrivant à midi
Arrête sa voiture et descend. - La toilette,
C'est la femme. De la bottine à la voilette
Pas une seule erreur de goût. Chaque degré
Est franchi d'un pied fin, trop rapide à mon gré.
N'ayant jamais péché comme la Magdeleine
Dont l'église, à cette heure, est rayonnante et pleine,
Elle entre, ayant aussi son âme pour beauté,
Trempe dans l'eau bénite un petit doigt ganté,
Regarde où l'on en est à peu près de l'office,
Et s'agenouille enfin; puis offre en sacrifice
Son pauvre petit coeur qui n'a jamais souffert;
Et, le bas de la robe un instant découvert,
Où la dentelle au blanc des volants se marie,
Retombe, et l'on dirait un papillon qui prie.
Devant cette prière exquise, en chapeau bleu,
On rêve d'être au ciel et d'être le bon Dieu
Pour exaucer le voeu de cette bouche rose
Qui demande d'un ton si bas si peu de chose :
Un bracelet plutôt de diamants que d'or
Le bonheur d'un bébé charmant qui tette encor,
Si le docteur n'a pas menti, si cette fièvre
Est loin, avec le feu qu'on avait sur la lèvre,
Si demain soir l'aura tout à fait effacé
Et si l'on sera mieux que Madame de C...
Vraiment il faudrait être un bon Dieu bien farouche
Pour ne pas écouter ce que dit cette bouche,
Pour n'être pas touché, du plus profond des cieux,
De ces longs cils dévots abaissés sur les yeux,
De ces élancements élégants et mystiques
Qui prouvent le bon ton et les saines pratiques;
Et quand elle a fini, fleur de dévotion,
Sa prière qu'embaume un parfum d'onction,
Elle ferme son livre, et tranquille se lève;
Ses regards sont noyés de ferveur et de rêve.
Belle, sans déranger de chaises, lentement
Elle marche, et s'en va dans un frissonnement.
Albert Mérat Poèmes de Paris 1880 |
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