La Bouquetière du Château d'eau

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Intérieur de famille

Dans un fort beau salon d'un appartement situé boulevard Beaumarchais, dans une de ces belles maisons bâties depuis peu, et qui font de ce quartier un des plus agréables de Paris, trois personnes étaient rassemblées : M. Glumeau, sa femme et sa fille.

Nous connaissons les dames; M. Glumeau, ci-devant courtier-marron, est un homme de cinquante ans, de taille moyenne, qui n'a jamais été joli garçon, mais qui pouvait plaire lorsqu'il était jeune, grâce à ses cheveux blonds, à ses yeux bleu faïence (il y a des personnes qui aiment les yeux bleu faïence) et surtout à sa taille fine, à sa jambe bien tournée et à son pied petit et bien cambré. En prenant des années, M. Glumeau, n'ayant pas pris d’embonpoint comme madame son épouse, a conservé une tournure jeune, surtout vu par derrière; quant à sa figure, elle s'est extrêmement chiffonnée; mais enfin, ses yeux sont toujours bleu faïence, et s'il n'a plus ses cheveux blonds, il les a remplacés par une perruque de la même couleur.

Il est probable que les traits de M. Glumeau n'auraient point subi un ravage si prompt, sans la manie que ce monsieur avait contractée de se droguer, de se mettre, pour la plus petite indisposition, à la tisane, au régime ou à la diète; la crainte d’être malade tourmentait sans cesse le ci-devant courtier-marron, et à force de soigner sa santé il était parvenu à la gâter. Sa lecture habituelle était la quatrième page des grands journaux; il prenait note de tous ces remèdes efficaces annoncés et prônés par les inventeurs; souvent il les achetait sans avoir la maladie que ceux-ci devaient guérir; mais M. Glumeau prenait tout cela par prévoyance en se disant : Si cette maladie m'arrivait, j'aurais le remède sous la main.

A cette faiblesse d'esprit, peu agréable dans un intérieur, M, Glumeau joignait de la prétention à briller dans la conversation, Il cherchait continuellement à lancer des pointes, des mots spirituels; mais, comme il n'en trouvait pas... il restait souvent en route, ce qui donnait beaucoup de décousu à son entretien. Enfin, ayant jadis été ce qu'on appelait un beau danseur, il avait conservé beaucoup de goût pour cet exercice, dans lequel il pouvait à loisir faire voir son pied dont il était très-fier, et qu’en dansant il regardait continuellement.

Après avoir quitté les affaires avec une assez jolie fortune, qu'un héritage venait récemment d'augmenter, M. Glumeau avait acheté une maison de campagne à Nogent-sur-Marne; là, il avait fait construire dans son jardin un petit théâtre où, dans la belle saison, sa famille et ses amis se donnaient la jouissance du spectacle, tour à tour acteurs ou spectateurs; M. Glumeau aimait à recevoir du monde : la société lui faisait oublier ses maladies imaginaires; sa femme et ses enfants aimant aussi beaucoup le plaisir, la maison du ci-devant courtier était de celles où l'on est presque toujours certain depasser agréablement son temps; la cérémonie, l'étiquette en étaient bannies, chacun avait le droit d'y faire ce que bon lui semblait; la société était parfois un peu mêlée, mais on se rattrapait sur la quantité. En ce moment le chef de famille est entrain de boire une tasse de thé dans lequel il exprime un jus de citron, parce que, le matin en s’éveillant, il s'est senti la bouche amère.

Etc.

Paul de Kock
La Bouquetière du Château d'eau
1855



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