Les Chansons de bataille

Eugène Labiche

A Paul Buquet.

« Dans la préface qu'il a mise en tête des oeuvres d'Eugène Labiche, Emile Augier le salue comme un égal. Je le crois bien. Ils étaient faits pour se comprendre. Ils ont créé tous les deux une école: l'un l'école du sublime postiche, du « faux biceps ». L'autre celle du rire à côté, de l'abracadabrance. »

(Paul Buquet1, Le Rire de Labiche, Cri du Peuple d'hier.)



Eugène Labiche est défunt;
Ce fut un maître de la scène.
Non! sa gaité n'est pas d'emprunt:
Elle est profonde, franche et saine.
Je suis peut-être un perroquet
Répétant ce dont il se fiche,
Mais, n'en déplaise à Paul Buquet,
J'aime le rire de Labiche.

J'aime ce rire bon enfant,
Plein d'une verve sans pareille,
Par qui la figure se fend,
Large, de l'une à l'autre oreille.
Vous dites: « Ce rire, c'est peu:
En amertume il n'est pas riche. »
Ici-bas, on rit comme on peut;
J'aime le rire de Labiche.

Non! le peintre de Perrichon
Ne fut point « un maître d'école »:
Chez lui, le masque folichon,
À la figure humaine colle.
Qu'importe à l'observation
L'abri sous lequel elle niche?
Dussé-je passer pour un pion,
J'aime le rire de Labiche.

Le bourgeois, bête comme un pot,
Qui s'étale dans son théâtre,
A du sang rouge sous la peau:
C'est de la chair et non du plâtre.
Ce prudhomme, épais et poussif,
Appelant sa femme: « Ma biche »,
Est peint d'un trait définitif.
J'aime le rire de Labiche.

Vous dites: « Ce rire enjoué
Est taillé pour un interprète. »
Erreur! Tous les jours, mal joué,
Il met d'humbles beuglants en fête.
Malgré d'exécrables acteurs,
Je vous assure que ça biche.
Comme ces naïfs spectateurs,
J'aime le rire de Labiche.

Non, Paul Buquet, cette gaité,
Débordant, exempte de bile,
Ce n'est pas « du rire à côté »,
Mais « du rire en plein dans le mille ».
Toujours robuste, dans cent ans,
Il éclatera sur l'affiche
Et la France, pendant longtemps,
Rira du rire de Labiche.

25 janvier 1888

Jules Jouy
Les Chansons de bataille
1889

1 - Paul Buquet (1831-1914) était un journaliste socialiste et, au moment de la publication de ce poème, un collègue de Jules Jouy au Cri du Peuple, où le poème a probablement été publié.



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