La Muse à bébé

L'Auberge pauvre

Jadis, un homme, voyageant
À pied, à travers le Hanovre,
Afin d'épargner son argent,
Entra dans une auberge pauvre.

Or donc, dans cette auberge-là,
Les voyageurs, chose nouvelle,
Mangeaient tous dans le même plat,
Afin d'épargner la vaisselle.

En guise de morceaux de choix,
On leur servait quelques boulettes
Qu'ils saisissaient avec leurs doigts,
Afin d'épargner les fourchettes.

Puis ils allaient, malgré leur faim,
Terminant cette maigre orgie.
Se coucher tout de suite, afin
D'économiser la bougie.

Notre homme, jusqu'au lendemain,
Alla dormir dans sa chambrette,
dans un lit grand comme la main,
Rembourré comme une galette.

Jusqu'à dix heures du matin,
Le voyageur ne fit qu'un somme.
La servante, au minois mutin,
Par les pieds vint tirer notre homme:

« — Monsieur! c'est l'heure du réveil!
— Eh! laissez-moi dormir, ma mie,
Car, sur l'article du sommeil,
Je n'entends pas l'économie! »

Du dormeur bravant le courroux:
« — Levez-vous! » répète la bonne,
« On ne peut pas manger sans vous;
Du déjeuner la cloche sonne!

— Non! je n'ai pas faim! Laissez-moi!
Veuillez me lâcher, ou je tape!
— Il faut vous lever! — Mais, pourquoi?
— Vous êtes couché dans la nappe. »

Jules Jouy
La Muse à bébé
1891



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