Histoire du quarante et unième fauteuil
de l'Académie française

Houssaye semble avoir été de ceux qui ne portent pas l'Académie française dans leur coeur. Dans la préface de son livre, il nous dit: En étudiant les figures illustres des quarante fauteuils en regard de celles du quarante et unième, on voit que l'Académie française a eu dans son sein autant de grands hommes qu'elle en a laissé à sa porte. C'est là sa première critique. La seconde tient en ceci: Il y a à l'Académie un dieu suranné qui s'appelle le dieu du goût, un dieu presque stérile qui n'a jamais mis au monde un poëte, qui se contente de réformer les enfants des autres, qui dit bien ce qu'il ne faut pas faire, mais qui ne prescrit jamais ce qu'il faut qu'on fasse. Voyons comment se comparent pour Houssaye les deux grandes institutions littéraires françaises.

La Comédie française et l'Académie française ont vécu non loin l'une de l'autre, comme deux étrangères, ou plutôt comme Jean qui rit et Jean qui pleure. Elles ne sont guère confondues dans le même amour du bien dire et du beau dire. Et pourtant elles ont toujours vécu porte à porte. L'Académie daignait marquer sa sandale tout imprégnée de poussière antique dans la maison de Molière; mais la Comédie n'avait pas droit de cité chez sa voisine: ça et là elle se présentait à la porte avec ce franc sourire qui montrait des dents de neige et des lèvres de carmin; l'Académie, qui ne souriait guère et qui cachait ses dernières dents, rudoyait la Comédie et la renvoyait à ses tréteaux. En vain la Comédie arrivait-elle avec Molière, Dancourt, Regnard, Dufresny, Le Sage, Piron, Diderot, Beaumarchais, Balzac, ses enfants et ses maîtres, l'Académie française lui disait de repasser. La belle fille au rire empourpré ne repassait pas, et elle avait raison, car l'Académie n'était plus à l'Académie, mais dans la maison de Molière.

Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où je suis.

Et, en effet, pendant que l'Académie ajustait sa perruque à la Louis XIV, ou plutôt pendant que les Danaïdes de l'Académie versaient avec parcimonie l'éloquence consacrée dans ce tonneau sans fond qui s'appelle le Dictionnaire; pendant que Pénélope faisait et défaisait chaque jour cette toile qui devait habiller la Vérité robuste, la Comédie française, sans se soucier des grammaires et des poétiques, levait son masque athénien, et versait au parterre ébloui le vin pur de la gaieté et de la philosophie. Que faisaient-ils, les Quarante, pendant l'épanouissement de tous ces chefs-d'oeuvre que n'a point consacrés l'Académie, mais que la France elle-même a consacrés, ces chefs-d'oeuvre qui de Molière à Beaumarchais, les Femmes savantes et le Mariage de Figaro, le Joueur et Turcaret, le Chevalier à la mode et la Métromanie, effacent les comédies grecques et romaines?

Arsène Houssaye
Histoire du quarante et unième fauteuil de l'Académie française
1855



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