Houssaye ressuscite Antoinette Des Houlières. En 1672, madame Deshoulières1, déjà surnommée la dixième Muse, quitta avec ses deux filles les prés fleuris des bords de la Seine pour aller, disait-elle, rejoindre M. Deshoulières. M. Deshoulières était en Guyenne, présidant aux fortifications sous les ordres de Louvois; madame Deshoulières alla en Dauphiné. Aussi, durant trois belles années, ils firent très-bon ménage. Madame Deshoulières était célèbre par sa beauté comme par son esprit. Avec ses trente-huit ans, elle était jeune encore par la grâce et par le coeur. Elle laissait sur son chemin des Céladons2 sans nombre; mais, heureusement pour M. Deshoulières, tout finissait par des moutons. Mesdemoiselles Deshoulières, Madeleine et Bribri, étaient de jolies filles de dix-sept à dix-huit ans, bercées dans les innocentes bergeries de leur mère; elles croyaient à toute la poésie que les rimes bucoliques accordent à la campagne; elles s'imaginaient voir dans leur voyage des pasteurs couronnés de roses et jouant de la cornemuse, des danses de bergères et de naïades sur les verdoyants rivages. Elles débarquèrent toutes les trois sur les bords du Lignon, en avril, au château de madame d'Urtis. La saison, quoique un peu pluvieuse, avait des matinées magnifiques. Aussi nos voyageuses se levaient de bonne heure pour fouler ce gazon encore ému des pas d'Astrée, cette source limpide, miroir de la bergère, ces bocages tout retentissants des plaintes de Céladon. Durant une des premières promenades, Madeleine Deshoulières, impatiente de voir quelqu'une des idylles rimées par sa mère, lui demanda ingénument si elles ne rencontreraient pas une seule bergère sur les rives du Lignon. Madame Deshoulières voyait depuis un instant un pâtre et une vachère qui jouaient au jeu divertissant du pied de boeuf; elle cherchait à peindre ce joli tableau: aussi répondit-elle à Madeleine par des vers. « On a bien raison de dire, murmura Madeleine, que les tableaux de la nature sont plus beaux dans le lointain. Est-il jamais croyable que c'est là une bergère, une bergère du Lignon? » La vachère était tout simplement une pauvre petite paysanne mal peignée et mal tournée, avec des mains fabuleusement épâtées, des yeux clignotants, une bouche sans fin. Le berger était digne de répondre à la bergère; pourtant il y avait sur sa figure rondelette je ne sais quoi de naïf et d'heureux, la bêtise épanouie, qui faisait plaisir à des yeux parisiens. Madame Deshoulières, qui voyait toujours par le prisme d'Honoré d'Urfé, poursuivait poétiquement son tableau. « Le métier que vous faites-là est bien gentil, n'est-ce pas, mon enfant? dit Madeleine à la petite paysanne.
En sa qualité de poète bucolique, madame Deshoulières se gardait bien de regarder et d'entendre. Elle ne voyait que les amours d'Astrée; elle n'entendait que les chansons du vieux roman. Etc. Arsène Houssaye 1 - Antoinette de Lafon de Boisguérin des Houlières (ou Deshoulières, 1634 ou 38-1694) est une poétesse bucolique ayant écrit, entre autre, Les Moutons. |
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