La Revanche des bêtes


Tu tapes sur ton chien, tu tapes sur ton âne,

Tu mets un mors à ton cheval,
Férocement tu fais un sceptre de ta canne
Homme, roi du Règne animal;
Quand tu trouves un veau, tu lui rôtis le foie,
Et bourres son nez de persil;
Tu tailles dans le boeuf, vieux laboureur qui ploie
Des biftecks saignants, sur le grill;
Le mouton t'apparaît comme un gigot possible,
Et le lièvre comme un civet;
Le pigeon de Vévus te devient une cible
Et tu jugules le poulet...
Oh! le naïf poulet, qui dès l'aube caquète!
Oh! le doux canard coincoinnant!
Oh! le dindon qui glousse, ignorant qu'on apprête
Les truffes de l'embaumement!.....
Tu pilles l'Océan, tu dépeuples les fleuves,
Tu tamises les lacs lointains;
C'est par toi qu'on a vu tant de limandes veuves
Et tant de brochets orphelins;
Tu restes insensible aux larmes des sardines,
Et des soles au ventre plats;
Tu déjeûnas d'un meurtre et d'un meurtre tu dînes....
Va souper d'un assassinat!
Massacre par les airs la cailles et la bécasse...
Sombre destinée : un salmis!
Tandis qu'un chou cruel guette, d'un air bonasse,
Le cadavre de la perdrix.

Etc.

Émile Goudeau
La Revanche des bêtes
1884



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