Goudeau nous entraîne dans une promenade autour de Paris, à la fois en un jour et en un an, nous décrivant, au-côté des illustrations d'Auguste Lepère, les tours et détours de la ville-lumière, à son époque. Ce premier extrait présente les boutiques chics où vont les nanties. La rue de la Paix, où miroitent les bijoux, se couvre de voitures de luxe, parmi lesquelles de modestes fiacres se faufilent. C'est l'heure que certains chasseurs parisiens ont appelée le moment du passage des cailles. Plutôt devrait-on dire, à les voir prises au rayons des diamants, que ce sont des alouettes, toujours séduites par ce qui brille, et gazouillant et faisant de légers tirelis-relis devant les étoffes soyeuses, les chapeaux de fleurs, et n'apercevant pas la note des fournisseurs chargée à mitraille. Ce second extrait nous décrit les cafés, le soir. Et tout le long des boulevards, de la Madeleine à la Bastille, c'est, à la terrasse des cafés et des brasseries, le même paysage. Un cadre lumineux, cru: la devanture vitrée, pareille à ces fond d'or des tableaux de sainteté sur lesquelles se détaches les vierges bleues, ou les saintes habillées de blanches et longues robes dont la candeur liliale s'épanouit doucement. Ici, par exemple, les personnages n'arborent point sur fond or les couleurs de l'arc-en-ciel, non; ils apparaissent en découpures de lanternes magique: un chapeau de haute forme, une main gantée sombrement, à peine parfois un subit éclairage des pommettes, ou un coup d'oeil qui laisse partir une étincelle; peut-être un bout de gilet clair, ou les scintillements d'une bague; à noter parfois, de loin en loin, la toilette et les fanfreluches d'une femme assise; mais cela est éclairé à rebours par le fond éclatant du café et gardé contre les lumières d'ailleurs faibles du boulevard par l'écran de la tente-abri. Aussi tous les personnages apparaissent-ils en ombres chinoises. Le garçon qui va, vient, court, est, malgré son tablier blanc, ombre chinoise aussi. Émile Goudeau |
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