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Tout valse dans les cieux : le Soleil et la Lune,
La Grande-Ourse aux sept pieds, et le triple Orion,
Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Neptune.
Que ce soit vers l'Austral ou le Septentrion,
Les Astres avec les Etoiles, leurs conjointes,
Suivant un invisible archet qui les conduit,
Piquent de leur chahut le parquet de la nuit,
Et furieusement valsent sur leurs cinq pointes.
Seul, le jeune homme chic, au bal de l'Opéra,
Jamais, jamais ne valsera!
Tout danse sur la Terre, ou rayons, ou nuages;
Le bonnet de Nana par-dessus les moulins,
Et l'anse du panier, et les écus volages,
Et le rire prenant les ventres pour tremplins.
C'est une sarabande, un quadrille bizarre
Où les futurs canons répètent leur cancan.
Le sportsman qui voudrait danser sur un volcan,
N'a qu'à le demander : le volcan n'est pas rare.
Seul, le jeune homme chic, au bal de l'Opéra,
Jamais, jamais ne dansera!
Tout tourne, ô Galilée, et tourne-vire-vire :
La boussole fringante, et celui qui la perd,
Le coeur de Don Juan, et la tête d'Elvire,
Et le disque des trains, qui joue à rouge et vert.
Dans l'immobilité morne rien ne séjourne;
Et tout tourne : un ministre autant qu'un député,
L'aiguille du cartel, les rois à l'écarté,
Et, comme un écureuil, le lait lui-même tourne.
Seul, le jeune homme chic, au bal de l'Opéra,
Jamais, jamais ne tournera!
Et pourtant les couleurs en kaléidoscope,
Sous les lustres spectraux, éparpillent leurs tons,
Une tache qui bouge, exulte, s'enveloppe,
Parmi le tantara des cornets à piston.
Fracs noirs, si dans le spleen vos âmes sont recluses,
Aveugles aux couleurs et sourdes aux accords,
Emmenez vos ennuis se promener dehors,
Et ne faites pas fuir Aspasie et ses muses...
Mais, le jeune homme chic, au bal de l'Opéra,
Dût-il en crever, restera.
Émile Goudeau Chansons de Paris et d'ailleurs 1896 |
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