Le salon de madame Ramberti est une de ces institutions de ce temps. L'appartement étant situé rue Royale, conflue à tout : ministères et Champs-Élysées, Palais-Bourbon, cercles, faubourg Saint-Honoré, grands boulevards. Devenus après des années légères, excessivement pratique au profit de son fils, qui, ingénieur en Algérie, se serait contenté de son far-niente colonial, mais que l'ambition maternelle poussait malgré lui, madame Ramberti tendait sa toile d'araignée pour prendre au passage les avancements, les gratifications, et quelques bons mariages; cette dernière proie ne l'intéressait guère encore, les deux premières devant fatalement amener belle, la troisième. Cette dame à figure grâcieuse, que l'on soupçonnait grisonnante, mais qui apparaissait coiffée d'un safran inaltérable, avait été extrêmement bien avec un ministre, dont la Providence spéciale qui sauve, dans les tempêtes gouvernementales, les épaves des crises, avait fait un chef d'un grand établissement financier. Le méridionalisme de Madame Ramberti, depuis longtemps corrigé par une exquisité parisienne des plus rares, ne se trahissait que par d'excessives effusions de bienveillance qui eurent le don de retenir l'ancien ministre, transformé en potentat du papier-monnaie; mais on sentait, sinon plus dans l'alcôve, au moins dans la coulisse, son occulte influence. Aussi là se rencontrait la cohue des grands jours, cohue qui passe et s'enfuit, qui change et revient, et s'agite renouvelée au gré des événements. Là, en outre, s'était formé une petite cour assidue. Cela ne visait pas à la puissance connue, étiquetée, grandiose; il s'en dégageait une plus sérieuse, efficace, d'entregent. On ne distribuait pas les ambassades chez Madame Ramberti, on y trouvait seulement des places de chef de service, ou des sinécures modestes, ou encore des bureaux de tabac. En résumé, salon solide, plutôt que brillant. Etc. Émile Goudeau |
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