Germain Guiraud, prêtre défroqué, cherche un emploi de journaliste à Paris. Venant d'essuyer un autre refus, il se retrouve dans la rue, perdu dans ses pensées. La rue le menait, insouciament, à travers une foule pressée, vers le boulevard, où le chaud crépuscule d'une exceptionnelle journée de mars posait, à la terrasse des cafés, des groupes de journalistes, de boursiers, d'oisifs, heureux de déguster en plein air les liquides bruns, verts, jaunes ou blancs qui trompent l'appétit des affamés et donnent des gastrites aux mangeurs. Pardessus les verres, des mains tendent la casse à qui offre le séné. La cuisine du succès s'exhale en une forte odeur d'eau bénite de cour, mêlée aux vapeurs âcres de l'absinthe. Germain Guiraud, l'ancien prêtre imbu des textes bibliques, trouvait à cette absinthe générale un symbolique aspect : le poison amer bu par ces conquérants de la célébrité, par ces mithiriades du boulevard, les rend réfractaires aux flèches empoisonnées des hostiles camarades. Le soleil couchant empourprait la cime des arbres, à peine teinté d'un vert très jeune. La joie factice, presque silencieuse, gouailleuse toujours, du boulevard, désespéra d'avantage encore l'âme désolée de Guiraud; il se hâta de prendre une rue transversale, où l'ombre s'épaississait, vaguement trouée par de rares becs de gaz, mis au bleu à la devantures des boutiques. L'immense, l'incommensurable solitude de Paris, ce désert d'hommes, pesait sur lui, plus que jamais, au moment d'accomplir le dessein auquel sa volonté venait de s'arrêter. Etc. Émile Goudeau |
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