Gilles et Pasquin

Sonnets spartiates



A Charles Monselet

La table étincelait. Un tas de bonnes choses
Chargeaient la noble nappe. On y voyait des mets
Etiquetés de noms savants, chers aux gourmets;
Les crus fameux brillaient transparents, blancs et roses.

Sous un prétexte aucun, mes yeux n'avaient jamais
Touché même de loin à ces plats grandioses,
Et cependant mon front, voilé d'ombres moroses,
montrait que ce n'était point là ce que j'aimais.

«Tu te voudrais sans doute au fond de tes gargotes.
Dans un bouillon Duval, près d'une portion
De lapin contestable ou de boeuf aux carottes,

Misérable!» me dit tout haut l'amphitrion,
Tout tremblait du courroux qu'il me faisait paraître,
Et moi, je répondis tranquillement : «Peut-être!»


II

Eh bien, oui! j'aime un plat canaille

Bien mieux que ces combinaisons
Qu'un chef alambique et travaille
Ainsi qu'Exili ses poisons,

Sur le banc de bois où me raille
Le merle chantant aux buissons,
Le cabaret et sa muraille
Que charbonnent les polissons.

Là, je bois les vins populaires
Où Suresne met ses colères
Et qui font le nez bourgeonné,

Et pour irriter la fringale,
Cyniquement je me régale
D'un plat de hareng mariné.


Dans la rue
Hé, là-bas! hé! la jupe au vent!
Ohé! la petite personne,
Arrêtez-vous. Mon coeur frissone
En proie à l'espoir décevant.

Oh! le beau corsage mouvant!
Et comme l'amour déraisonne
Devant ces grands yeux d'amazone
Plus clair que nul soleil levant!

Arrêtez-vous donc! Elle trotte
Sans répondre, et gardant ses bas
Immaculés, vierges de crotte.

Je reviens, mes projets à bas,
Mais content, car c'est si gai la rue
Quand rose nous est apparue!

Albert Glatigny
Gilles et Pasquin (1872)





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