Dinah Samuel

Chapitre 3 - Le Vin du félibre

Patrice Montclar est à Paris où il fréquente les milieux artistiques et littéraires.

...

Quel changement! On était en janvier. Il y avait donc un an, presque jour pour jour, - en ne comptant pas les deux mois au bout desquels il avait donné sa démission au proviseur, - que Patrice avait quitté Digne, la ville monotone et charmante de là-bas, dans un nid d'Alpes de Provence.

Le voilà maintenant à Paris, poète vivant de son métier, copain de Daubray, tutoyant le plus drôle pitre du boulevard, ami de Gill, le fameux caricaturiste, de Métra, le musicien des roses, de ces hommes qu'il considérait, un an auparavant, presque comme des dieux, (sauf Daubray, dont il ignorait le nom).

Patrice, dans l'éloignement de la province, admirait les écrivains, et les artistes en général, comme des personnages sacrés, (alors que ce sont de sacrées personnages), ne se mêlant pas aux réalités de la vie ou les dominant par leur gloire ou leur fortune. Ayant eu une sorte de respect profond pour la ligne imprimée, il n'était pas encore revenu complètement de ce préjugé. Quand parut dans le journal, la Lune rousse, le sonnet à Dinah Samuel, Le Baiser du Soleil, il contempla, avec un orgueil certain, les numéros étalés au kiosque, se disant que sa signature y côtoyait celle de Gill, et d'un auteur dramatique qui avait eu deux pièces représentées avec succès à l'Odéon, puis un romancier, dont il avait lu un livre, au collège, et d'un autre encore célèbre par ses duels. Ayant vu un monsieur, l'air très intelligent, - acheter le journal et jeter les yeux, précisément, sur ses vers, il n'avait pu s'empêcher de penser que ce passant ne se doutait pas que l'auteur était près de lui. Cependant Patrice acheta trois exemplaires: or, il n'y a qu'un auteur pour acheter trois numéros. Patrice les envoya dans son pays natal, l'un à ses parents, l'autre à Rosalie, la nièce à Galissian, le dernier à des Grillons. Et jamais plus il n'éprouva cette naïveté, car il s'habitua vite à voir ses articles et ses vers imprimés, et ce plaisir s'émoussa.

Etc...

Félicien Champsaur
Dinah Samuel
1882



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