Champfleury nous entraîne dans le monde ecclésiastique de Bayeux, qu'il présente comme une petite ville de Province très provinciale. Nous sommes sous la Restauration et nos héros sont M. de Boisdhyver, le nouvel évêque de la ville, et son protégé, le jeune séminariste Cyprien. C'est la célébration de la Fête-Dieu. Après avoir décrit l'érection des présentoirs, qui décorent les quartiers de la ville, Champfleury passe à la procession. ... Quoique la nature prenne rarement part aux solennités des hommes, il était rare qu'à cette époque la pluie vînt contrarier la Fête-Dieu. Si le soleil se mettait de la fête, l'aspect de cette petite ville, parée comme une fiancée un jour de noces, donnait un bonheur momentané à ceux qui souffraient de corps et d'esprit; mais toutes ces pompes laïques n'étaient rien en comparaison des pompes religieuses. Le clergé revêtait ses habits brodés; la pourpre des vêtements était plus rouge, l'encens plus odorant, l'orgue plus majestueux, les desservants plus nombreux. Ceux qui ont assisté à de telles fêtes dans leur jeunesse en seront toujours touchés et ne les oublieront jamais, quelque croyance que l'âge mûr déracine. Cyprien, désigné par M. de Boisdhyver comme maître des cérémonies pendant la procession, fut placé à la tête des enfants de choeur, qu'il dressa pour cette fête à chanter des hymnes en musique. La procession était ainsi distribuée: en avant du cortège, les tambours des pompiers avec leurs casques de cuivre reluisant et leurs plumets rouges se détachant sur la crinière de crin noir recourbée; derrière les tambours, un groupe de six enfants de choeurs portant des encensoirs d'or, et lançant la fumée dans la direction du ciel à chaque pause que faisait le cortège. Immédiatement après venaient six autres enfants de choeurs portant de grandes mannes tendues de soie blanche, garnies de rubans bleu de ciel à franges d'argent; ces mannes étaient remplies de feuilles de roses que les enfants de choeurs jetaient en l'air en chantant des cantiques, pendant que leurs camarades brûlaient l'encens. Les pompiers faisaient la haie, pressés par un flot de spectateurs devançant la procession; parallèlement à la haie des pompiers les jeunes fille de Bayeux, habillées de blanc, voilées, marchaient en tenant des cierges. Ensuite venait un seul petit enfant de choeur habillé de noir, perdu dans un immense camail jusqu'à mi-corps et précédent le cortège en portant un aspersoir d'or. La conscience que l'enfant rose, avec ses cheveux rasés, avait de sa mission importante, l'orgueil qui l'enveloppait d'être seul en avant du cortège, faisaient contraste avec l'espièglerie malicieuse de sa figure et le sourire mal contenu de l'amour-propre qui se dessinait sur ses lèvres. Hors de l'église, cet enfant de choeur était peut-être un franc polisson, poursuivant les chats, cassant les sonnettes, se prenant aux cheveux avec ses camarades. Son habit lui donnait tout à coup une haute estime de lui-même; il se dressait dans sa petite taille, et semblait fier de sa dignité. Derrière lui marchaient sur deux rangs les prêtres de la cathédrale et des autres paroisses de Bayeux, dans le costume de simples desservants, en camail noir tranchant sur le surplis blanc; ceux qui précédaient la croix avaient de lourdes chapes en or gaufré, formant des angles carrés aux épaules. Si le groupe de prêtres entourant le porteur de croix attirait les yeux par la splendeur des dorures des chapes, l'admiration était plus vivement éveillée encore par le dais sous lequel marchait l'évêque, entouré de ses vicaires généraux et du curé de la cathédrale. Le velours, la soie, l'or, les bannières, les fleurs, l'encens, la musique, se combinaient pour la plus grande fête des yeux. Le catholicisme laisse bien loin toutes les autres religions par l'art avec lequel il parle à tous les sens… Celui qui peut voir le même jour une solennité religieuse à la magnifique cathédrale de Strasbourg, et visiter dans l'église de Bâle la salle où se tenaient les assemblées protestantes qui remuèrent un moment l'Europe, pourra s'expliquer pourquoi le protestantisme, avec sa froide raison et son analyse sèche, n'a jamais pu enlever au catholicisme, qu'un petit nombre de partisans. La faible humanité voudra toujours échapper par instant aux misères et aux arides réalités de la vie. Les beaux spectacles de la religion catholique frappent les masses, caressent la vue, enivrent, en montrant des vieillards vénérables priant, des enfants et des jeunes filles chantant, de suaves parfums, des concerts s'échappant du plus puissant et du plus majestueux des instruments. Comment une population n'eût-elle pas été touchée à la vue de M. de Boisdhyver portant le saint-sacrement et bénissant le peuple qui se pressait sur son passage? Si le prêtre est rehaussé par l'appareil de ce pompeux spectacle, il peut encore le rehausser lui-même suivant la sympathie qu'il inspire, sa physionomie majestueuse, l'air de dignité empreint sur ses traits. M. de Boisdhyver n'avait pas besoin de la mitre, de la crosse, pour inspirer le respect. En bénissant, sa main semblait appeler à lui tous les fidèles; les plus endurcis n'aurait pu résister à ses regards. Etc... Champfleury |
Retour à Champfleury
Vers la page d'accueil