Dans ce long essai sur le Réalisme — ou la Réalité comme Champfleury préfère dire — l'auteur nous présente Challes, un écrivain bien oublié du dix-septième siècle — ah! qui nous écrira Siècle 17! — comme l'un des premiers écrivains réalistes de la langue française. Dans ce premier extrait, il traite plus particulièrement de l'imagination en littérature. On ne sait pas assez quelle difficulté l'artiste trouve à donner de l'intérêt à des scènes de la vie habituelle, et la facilité, au contraire, qui attend le romancier n'employant dans son oeuvre que des personnages d'une autre époque, d'un autre pays. Combien de gens se laissent prendre à des mannequins qui ont une toque sur la tête et une dague au côté! Voyez ces batailleurs du temps de Louis XIII; ils passent leur vie à se donner des coups d'épée; ils sont tués au second volume, ils reparaissent au troisième volume, ils ne meurent jamais, ils font des actions inouïes, et les lecteurs de cabinets de lecture s'enthousiasment pour ces ferrailleurs parce qu'ils s'appellent d'Artagnan, Porthos, etc. Des sentiments, ils n'en ont pas; des caractères, il en est à peine question; la réalité se sauve en baissant les yeux, l'histoire est traitée par-dessous la jambe; mais ce sont des mousquetaires! Tout est permis à l'auteur pourvu qu'il ne s'attaque pas à l'habit noir; car alors il ne s'agit plus de contes bleus, de coups d'épée, d'ogres et de gargantuas, d'actions impossibles, il est nécessaire de peindre des sentiments réels, des moeurs que chacun est à même d'observer; l'auteur est tenu d'étudier attentivement l'enchaînement des faits, de peindre des objets réels, et là est la difficulté de l'art moderne. Dans ce second extrait, Champfleury nous parle du "beau style" qu'il tient pour faux et inutile. Les matamores de la phrase, les sectateurs du style, ceux qui emploient de terribles substentifs campés sur la hanche, toujours suivis d'une foule empressée d'adjectifs galonnés, ne s'enthousiasmeront pas, je le crains, pour le rare talent de conteur de Challes. Ne tenant compte ni de sa phrase vive comme un oiseau, ni de cette précieuse simplicité que sied à la phrase comme l'innocence à une jeune fille, ils déclareront sans doute le style de Challes plat. C'est une des injures les plus neuves avec celle du style gris. On dit d'un écrivain qu'il a le style plat quand, s'efforçant de ne pas se parer de faux bijoux, il présente une phrase nette et concise. Voltaire, dans sa Correspondance, a le style plat. A ces adversaires se réunissent les partisans avancés de l'école des images, qui déclarent qu'une oeuvre est grise quand le fond et la forme sont d'accord pour rendre ces existences domestiques, tranquilles, pleines de calme, qui reposent l'esprit de l'habitant des grandes cités. Les coloristes condamnent à ce titre le Vicaire de Wakefield, comme d'un gris monotone. En musique, le chant du violoncelle leur représente le gris : il leur faut le son de la trompette. Haydn est un compositeur voué au gris. Le rouge est la seule couleur, comme la trompette est le plus beau des instruments : les le Nain sont des maîtres trop gris. Enfin tout ce qui contient une douce émotion, une tranquillité affectueuse, le calme des sens, la mélancolie, est gris, archigris. Les auteurs badins et galants font corps avec les matamores et les coloristes; ils prêchent la cambrure de la phrase, le pétillement du mot et les paillettes du style comme sur un habit de marquis. A leurs yeux, le dialogue n'est qu'une escrime brillante, et chaque interlocuteur doit se renvoyer les mots comme dans une partie de raquettes. Champfleury |
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