En la petite ville de Laon, les trois soeurs Carillon, que l'on appelle méchamment les “trois-sans-hommes”, donnent à souper à leur neveu Charles-Marie, qui vient d'arriver de la campagne pour entrer au collège de la ville; au professeur Delteil, un petit homme jaune féru de grec, leur nouveau pensionnaire arrivé de la veille; et à Dodin, le fils naturel d'une couturière du quartier, qui est gourmand et obsédé de cuisine, cuisinant même en cachette dans son pupitre pendant la classe... ... Le dîner se passa convenablement; M. Delteil mangeait peu et se montrait aussi embarrassé de dîner chez les marchandes de modes que s'il eût été assis à table entre deux princesses. Si les trois soeurs n'eussent veillé constamment à lui couper du pain, à lui servir à boire, il serait resté sur sa chaise sans mot dire. Dodin demandait des explications à chaque plat, et fournissait des explications telles qu'un bon chef de cuisine eût pu les recueillir. — Y aura-t-il de la charlotte? s'écria tout à coup Dodin.
Alors Dodin se recueillit, prit un air grave, et dit : — Pelez et épluchez vingt pommes de reinette que vous coupez par morceaux, mettez-les dans une casserole où vous avez fait fondre un morceau de beurre et ajoutez du sucre et de la cannelle; faites feu dessus et dessous. En ne les remuant pas elles ne s'attacheront pas; quand elles seront fondues, passez-les en purée et faites un peu réduire sur le feu sans laisser attacher.
M. Delteil poussa un profond soupir pendant que Dodin continuait : — Tous ces croûtons se trempent dans du beurre fondu. Placez votre marmelade dedans par lits et ajoutez entre chaque lit un lit de marmelade d'abricots. Ici Dodin s'arrêta. — Enfin, c'est fini, dit Sophie. Cela t'amuse, dit-elle à Charles-Marie, qui riait de cette singulière mémoire. Pour Dodin, il était inquiet, répétant à voix basse et à diverses reprises: "un lit de marmelade d'abricots..." il ne s'inquiétait pas de ce qui se passait autour de lui. Etc... Champfleury |
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